vendredi 18 janvier 2019

Printemps éternel




L’Ile, délicatement posée dans l’océan Atlantique, bruissait de mille parfums. Même en ce mois de janvier, les fleurs jouaient les belles et dodelinaient de la tête au vent venu des sommets acérés.

Sur les flancs des montagnes, de multiples chemins de randonnées sillonnaient de petites parcelles cultivées, irriguées par des « levadas », ces étroits canaux d’irrigation qui permettent encore aujourd’hui l’acheminement des eaux venant du sommet des crêtes jusqu’aux cultures situées au sud de l’île. Il fallait un pied sûr, pour ne pas glisser dans les eaux pétillantes des canaux d’un côté ou dévaler les ravins vertigineux de l’autre. Tout en bas, dans un fracas assourdissant, les vagues s’écrasaient contre les roches noires volcaniques. Devant ce spectacle impétueux, les paroles étaient inutiles. Seul comptait le chant de la terre et de la mer, unissant leurs voix dans ces vibrantes mélopées.  

De petits villages composées de charmantes maisons colorées s’agrippaient aux pentes escarpées, témoignant dans certains recoins de l’île et notamment dans la capitale d’une forte densité humaine, le tout tranchant avec la rigueur de l’Océan Atlantique. Dans les jardins, les fleurs hivernales rajoutaient des touches colorées, donnant l’impression, même en cette saison, d’une végétation luxuriante. Non loin des propriétés bien ordonnées, les vignes en pergolas attendaient patiemment le retour de la belle saison pour produire un vin doux, chauffé aux rayons du soleil. Tout près des feuilles cuivrées de janvier, les cultures de bananes et d’oranges complétaient ce tableau exotique. Et pendant que les vieilles et vieux des villages s’usaient les genoux sur les chemins escarpés des bourgades, les voitures montaient et descendaient des pentes hallucinantes dans un bruit de freins étourdissant. 

Alors que les bords de mer semblaient vivre dans une éternelle douceur, les sommets, piquetés de tours rocheuses et de crêtes fascinantes dont certaines culminant à plus de 1800 mètres, se perdaient souvent dans des voiles de brume et de brouillard, fantomatiques et ne se laissant gravir qu’au prix d’un intense effort physique. Et au milieu de l’île, un immense plateau, parsemé de fougères et de prairies de mousse où des troupeaux de vaches paissaient tranquillement, rappelait les tourbières écossaises. 

Afin de se réchauffer après avoir touché du bout des doigts les nuages, le retour dans les bourgades de pêcheurs permettait de côtoyer une population souriante et accueillante, fière de son pays et de ses racines. Et dans le petit port coloré, où des bateaux déchargeaient des espadons pendant que des roussettes accrochées sur des châssis de bois séchaient au soleil, une partie de cartes enjouée réunissait les hommes, yeux rivés sur leurs jeux, comme si leur vie entière en dépendait.

« L’Ile aux fleurs », si paisible au milieu de l’Océan, semblait vivre un printemps éternel, presque oubliée des fracas de la vie moderne.  Et pendant que le temps s’enroulait autour des troncs rugueux des bananiers, virevoltant dans les parterres fleuris et s’engouffrant dans le ressac de l’eau, je m’imaginais voguer dans une douce musique, blottie au creux de tes bras. 

De retour, mon esprit vagabonde encore et encore. Et dans tes yeux, je replonge dans les cascades scintillantes qui dévalaient les montagnes pour mourir amoureusement dans l’Océan.





Dédé © Janvier 2019