lundi 23 décembre 2019

Le grand sapin (conte de Noël)



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Il était une fois un grand sapin, entouré de grands sapins, dans une forêt de grands sapins.
Chaque année en décembre, le grand sapin soupirait, couvert de neige, à l’épreuve des tempêtes hivernales, et ne se réchauffant guère aux timides rayons du soleil. Pour tenter d’attirer l’attention des autres grands sapins et de tous les habitants de la forêt, il se balançait au rythme du vent, secouant sans cesse ses branches et jetant des regards éplorés de tous côtés.

Ainsi, il quémandait des câlins de tous les oiseaux qui se posaient sur ses branches. Quand il les voyait voleter autour de lui, ses épines leur faisaient signe de s’approcher et de lui chanter quelques mélodies.  Alors les mésanges, timides mais affectueuses, venaient déposer une petite caresse d’un coup de bec, chantonnant de douces mélopées puis repartaient, sans se douter qu’elles laissaient derrière elles un grand sapin tout givré se laissant aller à une tristesse grandissante.

Mais tous les ans, ce qui le rendait le plus malheureux, c’était de voir que les habitants du chalet tout près de là ne lui jetaient aucun regard quand ils traversaient le chemin avec des sapins minuscules en plastique qu’ils installaient ensuite au milieu de leur salon, les chargeant de guirlandes colorées jusqu’à ce qu’ils en deviennent ridicules, ployant sous ces décorations farfelues.

Cette année-là, l’hiver s’installa brusquement car en une nuit, la neige tomba des cieux en grandes quantités, formant partout d’impressionnantes congères. Au matin, le grand sapin grelottait de froid, vacillant sous le poids des lourds flocons. Pendant qu’il frottait ses branches contre son tronc pour faire circuler la sève, il vit passer un renard splendide dans sa houppelande rousse et il le jalousa car en tant que grand sapin, il n’avait pas de poils pour se protéger des pénibles frimas. Il devint fort abattu, alors qu’il tenait encore vaillamment debout, grand parmi les grands sapins de la forêt des grands sapins. Pour couronner le tout, le soleil disparut, cédant sa place pendant de longs jours à un brouillard tranchant qui s’amusait à effleurer le bout des branches de tous les arbres avec ses doigts glacés.

Et pendant que le grand sapin se lamentait sur sa triste situation et que ses larmes se transformaient en délicates sculptures de glace au bout de ses ramures, le conseil des animaux de la forêt des grands sapins se réunit afin de débattre d’un sujet épineux.

Ils étaient tous là, certains à peine réveillés de leur repos hivernal : écureuils espiègles, mésanges bleues, à tête noire, huppées et d’autres moins frivoles, geais élégants, merles enchanteurs, biches, chevreuils, blaireaux et renards, chamois et bouquetins descendus de la montagne et bien d’autres encore. Tous étaient réunis autour de leur chef, un cerf élaphe portant sur son dos un magnifique manteau chatoyant. Vieux sage, il parlait une langue universelle et les animaux rassemblés en cercle autour de lui hochaient la tête en écoutant attentivement son discours qui s’éternisa toute la nuit.

Le lendemain, le jour du solstice d’hiver, un cortège s’ébranla dans la forêt des grands sapins.  A sa tête un cerf altier trottait, accompagné de sa belle aux yeux de biche. Derrière lui, une foule innombrable d’animaux agitaient plumes et poils. Le défilé dansait et chantait aux sons de tambourins et d’autres instruments joués par la fanfare des lutins de la forêt des grands sapins. Et dans cette longue cohorte se trouvaient même des visiteurs de marque venus du monde entier pendant la nuit, soucieux d’apporter leur soutien à cette vaste opération de cœur. Ainsi, un énorme morse, langoureusement allongé sur une luge traînée par des lutins très musclés chantait aussi, mais en morse, ce qui détonnait quelque peu dans l’harmonie générale. Un ours blanc, peu habitué à voir autant de grands sapins, regardait de tous côtés, émerveillé. A ses côtés se dandinait son ami de longue date l’ours brun et une licorne fermait la marche, poussant de sa corne magique les blaireaux et les marmottes retardataires.

Puis le cortège s’arrêta, s’ébrouant joyeusement autour du cerf. Ils étaient enfin arrivés à destination.

Surpris, le grand sapin dans la forêt des grands sapins vit sous ses branches tous les animaux réunis. C’est alors que le majestueux cerf déroula un parchemin et sa voix retentit dans toute la forêt des grands sapins, se faisant entendre bien au-delà, jusque dans la campagne et les villes environnantes, et même plus loin, au-dessus des hautes montagnes. Et le grand sapin, de plus en plus ému, comprit que tous les animaux présents venaient lui rendre hommage et lui dire toute leur affection. A la fin du très long discours retentit une salve d’applaudissements dans la forêt des grands sapins et les chants de joie reprirent. Même le soleil, absent depuis si longtemps, transperça la couche épaisse des nuages et la lumière se fit au-dessus des arbres. Puis chaque animal défila devant le grand sapin, s’inclinant à l’approche de son tronc noueux et lui fit cadeau d’une boule rouge de Noël. Les agiles mésanges huppées, aidées par de lointains cousins colibris, les accrochèrent une à une aux branches du grand sapin. Dans une clameur extatique et délirante, le sapin éclata alors en sanglots de joie, scintillant de mille feux au milieu de la forêt des grands sapins.

Peut-être que vous ne me croirez pas. Car on n’a jamais vu un ours blanc dans une forêt de grands sapins, ni même d’ailleurs des colibris et encore moins un énorme mammifère marin chantant en morse. Mais depuis leur passage, le grand sapin ne fut plus jamais triste, chantant du matin au soir et à toutes les saisons, sa joie retrouvée. Et pour vous prouver que cela n’est pas une histoire sortie tout droit de mon imagination et que je n’ai pas perdu la boule, le grand sapin m’en a d’ailleurs offert une que mon ours brun garde jalousement depuis contre son cœur.



A toutes et tous, je vous souhaite de belles fêtes de fin d'année et une bonne année 2020. Je m'éloigne de la blogosphère pendant quelque temps. Prenez bien soin de vous pendant mon absence.

Dédé © Décembre 2019

vendredi 6 décembre 2019

A tous ces sommets


J’ai toujours eu un immense respect pour cet homme d’un caractère tranquille mais passionné, livrant sans cesse des combats pour être au plus près de ses valeurs. Silencieux voire taiseux parfois et d’autres fois emporté par son humour et ses histoires, il a toujours le sourire accroché aux bords des yeux et sur ses lèvres.

Ce jour-là, devant le Monviso et son écharpe de nuages voguant au vent, j’ai pensé à lui qui a gravi tant de sommets par le passé et qui continue, à son âge, visage buriné et cœur bien accroché au fond de la poitrine, de porter à la montagne un amour sans faille, escaladant, glissant, marchant sans cesse dans ces massifs qu’il aime tant.

Dans cette nature à la fois si hostile mais si belle, je suis tombée presque en extase de ce majestueux Monviso, s’ébrouant au soleil levant. La pierre rugueuse provoque en effet des sentiments intenses que seule une fille de montagnard peut comprendre et apprécier.

Et à ce moment-là, dans une communion totale avec ce grandiose paysage et avec toi qui m’accompagne maintenant dans toutes ces randonnées ici et là, j’ai écrasé furtivement une larme de reconnaissance envers celui qui m’a fait tant aimer la montagne depuis mon plus jeune âge.  Il y a des choses qu’on n’arrive pas à exprimer avec des mots car la compréhension et la sensation de la grandeur des pierres qui nous dépassent passent essentiellement par le silence.


A tous ces sommets, à mon père, à toi…



" Si vraiment aucune pierre, aucun sérac, aucune crevasse ne m'attend quelque part dans le monde pour arrêter ma course, un jour viendra où, vieux et las, je saurais trouver la paix parmi les animaux et les fleurs. Le cercle sera fermé, enfin je serai le simple pâtre qu'enfant je rêvais de devenir."

Lionel Terray, « Les conquérants de l’inutile ».

Dédé © Décembre 2019

vendredi 22 novembre 2019

Silence

Monviso, Italia

Là-haut, tout n’était que silence. Dans cet hiver à peine installé, il n’y avait que nous et le bruit de nos pas sur la glace et la neige fraîchement tombée. Lui, il nous regardait, presque goguenard. Il savait que nous venions pour lui et que toute cette ascension pénible dans un froid mordant, à fuir le brouillard qui montait, n’avait pour seul but que de mieux s’approcher de sa silhouette altière. Cela faisait longtemps que je l’avais repéré, si grand au-dessus de la plaine du Pô, veillant sur Turin et les autres petites bourgades, au-dessus des vignes et des collines, tel un grand seigneur. Mais là, fragile devant sa face nord, je ne savais que me taire, le contemplant avec une émotion contenue et pourtant si réelle.

Sans doute que quelques bouquetins, eux dont le pied est si sûr, se sont moqués de nous. Alors qu’ils jouent les équilibristes avec grâce et agilité à longueur de saisons, ils devaient nous trouver bien maladroits, cherchant avec peine les traces d’un chemin qui s’était déjà enveloppé dans son manteau d’hiver et n’avait plus envie d’être dérangé par les derniers randonneurs intrépides de la saison.

J’avoue que la peur m’a traversée, là-haut, alors que le vent soufflait sur le lac déjà gelé, dans cette immensité glacée.  Mon cœur battait la chamade, à cause de la fatigue et de l’altitude mais aussi à cause de cette angoisse qui peut vous enserrer quand, vous tournant de tous côtés, vous ne trouvez plus les précieuses marques qui d’ordinaire vous indiquent le bon chemin.

Alors, face à cette barrière de rochers, il m’est venu presque une incantation qui demandait que la montagne ne se fâche pas et nous laisse traverser le haut-plateau sans encombre.

Dans cet hiver précoce, au-dessus des hommes et des turpitudes terrestres, j’ai eu l’impression d’être devenue, le temps d’une pénible ascension, une intime invitée, en communion totale avec le « Re di Pietra». (Roi de Pierre).

Car altesse sérénissime, ce jour-là, tu as enlevé ton écharpe de nuages coiffant souvent ton visage impassible, dévoilant à nos yeux émerveillés et mon cœur ému toute ta masse rocheuse, dans une farandole de lumières précieuses.


"De ma cime, tu verras toutes les Alpes. De toutes les Alpes, tu verras ma cime". (Monviso)

Dédé © Novembre 2019

vendredi 8 novembre 2019

Envol



Les montagnes blanches m’ont saluée, délicatement posées sur une écharpe vaporeuse à peine visible au-dessus de la vallée. Barrière infranchissable, elles semblaient presque irréelles, élégantes dentelles dans le ciel immaculé.

Légère dans cet octobre finissant, suspendue au souffle du vent, j’ai cru, devant tant de beauté, que j’étais moi aussi devenue un oiseau.



« Les hommes sont des oiseaux de passage ». William Shakespeare

Dédé © Novembre 2019

vendredi 25 octobre 2019

La montagne et le miroir



La montagne, altière, se mirait dans le bleu intense du lac. Même les sapins et les mélèzes n’osaient plus chuchoter entre eux, de peur que la surface du miroir ne se ride et que la montagne ne se fâche en croyant voir sur sa peau une fissure insoupçonnée jusqu’alors.

Debout devant l’eau tranquille, j’ai cru un instant qu’il me serait plus facile de grimper au sommet en plongeant silencieusement dans les eaux dormantes, comme une sirène d’altitude, insensible au froid mordant de l’étendue profonde. Toucher le ciel en se penchant sur la terre, voilà qui semblait si simple.

La montagne jouait la belle avec l’onde limpide et silencieuse et j’assistais à leur délicieux verbiage dont le sens profond m’échappait pourtant. Alors, afin de mieux sentir les vibrations de l’instant, je poussai le tronc qui dormait sur le rivage. Sentant autour de ses vieilles branches mortes la vie revenir, il se transforma en vaisseau invisible et je me suis perdue définitivement dans ce décor alpin. 


"Quand on a marché deux heures dans une montagne, on est plus intelligent".   
Coline Serreau

Dédé © Octobre 2019