jeudi 24 décembre 2020

Le Grand Voyage (Conte de Noël)

 

 Bluette la vachette, Quentin le bouquetin et l'Etoile de Noël

 

Avertissement pour nos aimables lecteurs: N'oubliez pas de cliquer sur l'animation musicale qui a toute son importance et de visiter également les liens hypertextes qui illustreront le propos et vous feront découvrir quelques lieux emblématiques de la Suisse. Bonne lecture!


Il avait neigé toute la nuit et au matin de la Saint-Nicolas, l’hiver avait chassé définitivement l’automne et un doux silence régnait. 


C’est ce jour-là que Bluette la vachette et Quentin le bouquetin disparurent. Je les ai cherchés partout dans la maison, fouillant les moindres recoins, interrogeant même mon ami, l’accenteur alpin Maître Zen, pour savoir s’il les avait aperçus. Malheureusement, ils restèrent introuvables. Inconsolable et sombrant peu à peu dans la mélancolie, j’attendis des heures et des heures et les heures sont devenues des jours, puis des semaines.

Mais le 25 décembre, les deux compères revinrent, recouverts de neige, le sourire vissé au milieu des poils, ne s’excusant qu’à peine des désagréments causés par leur disparition. Bluette portait fièrement un cadeau doré qu’elle me remit solennellement alors que Quentin, les yeux charmeurs, me tendit un chocolat en forme de Père Noël à peine fondu. Et dans le brouhaha de leurs retrouvailles avec leurs amis accourus des quatre coins de la maisonnée, j’ai su enfin quel avait été leur Grand Voyage, comme ils le nommèrent devant un parterre d’auditeurs avides de belles histoires.

Ne voulant pas nous réveiller le matin du 6 décembre, ils étaient partis alors que le jour se levait à peine et que Maître Zen dormait encore et n’avait pas encore pris son petit-déjeuner dans sa mangeoire balayée par le vent. Ils avaient traversé de grandes forêts et franchi de nombreux cols dans les Alpes, glissant dans la neige et sur des lacs gelés, s’amusant comme des enfants. Après maintes roulades, les poils presque gelés, ils étaient arrivés dans une grande ville, là-bas sur le Plateau où on ne parle déjà plus le français. Les deux amis avaient parcouru les rues animées pour finalement s’arrêter dans un féérique magasin de confiseries.  Bluette, espiègle et aguicheuse, avait fait diversion devant le tenancier, lui parlant du Valais et de ses prairies bucoliques alors que Quentin dévalisait les rayons, coinçant entre ses cornes des tonnes de chocolats et bourrant ses poches de Pères Noël bedonnants et d’anges gracieux. S’enfuyant ensuite ventre à terre en s’esclaffant, ils s’étaient cachés avec leurs friandises à l’abri des regards indiscrets, sous le grand sapin décoré de la vieille ville, et s’étaient empiffrés pendant des heures.

Puis, pendant des jours et des jours, parcourant la Suisse en train et en bateau, en parapente, en car postal et en ski, ils avaient posté des photos sur leur compte Instagram, (dont j’ignorais l’existence !), suivis dans le monde entier, devenus en quelques jours des influenceurs influents, même jusqu’en Chine, notamment dans la communauté très sélecte des pangolins : la fosse aux ours de Berne, les chutes du Rhin à Schaffhouse, le lac des Quatre-Cantons, la Jungfrau, le Lavaux et ses vignes plongeant dans le Lac Léman. Ils avaient admiré Chagall, Hodler et Monet dans les grands musées et avaient compulsé de vieux manuscrits du Moyen-Age dans la merveilleuse bibliothèque de Saint-Gall. Ils avaient bu du Merlot dans un grotto tessinois, s’étaient gavés de Läckerlis à Bâle, léchés les babines devant un gargantuesque papet vaudois à Lausanne et une fondue moitié-moitié face au Moléson. Ils avaient dévalé à ski le Lauberhorn, pulvérisant le record de Beat Feuz et s’étaient même offert de belles frayeurs en bob biplace à Saint-Moritz. Malheureusement, Bluette s’était sentie mal dans un puissant virage et son lait ayant tourné, Quentin avait dû nettoyer de fond en comble le bolide avant de le restituer aux loueurs.

Malgré toutes ces folles et passionnantes aventures, l’absence de Dame Dédé et de son Monseigneur avait pesé de plus en plus sur leur moral. Un peu penauds d’avoir été si cachottiers, ils avaient alors décidé de rentrer au bercail, empruntant la ligne rapide du Lötschberg.

Faisant néanmoins un petit détour pour aller escalader le caillou à Zermatt (comme le papa de Dédé il y a de cela quelques années maintenant) après avoir avalé rapidement des macaronis d’alpage à la cabane du Hörnli, ils étaient ensuite descendus en kayak sur le Rhône afin de terminer leur Grand Voyage.

Mais alors qu’ils traversaient la forêt des grands sapins pour retrouver enfin leur nid douillet et leurs confortables charentaises, ils avaient rencontré une foule d’animaux pressés empruntant tous la même direction. Intrigués, ils s’étaient alors joints au cortège et avaient écouté avec attention les divers propos échangés. Un grand cerf, avec sa voix tonitruante, racontait à une marmotte emmitouflée dans une chaude pelisse que l’enfant était né le soir d’avant, et que depuis lors, la grande étoile ne cessait de briller au-dessus des sapins. Un écureuil expliquait à une mésange bleue que de richissimes rois étaient partis d’un pays lointain pour rendre hommage au petit. Plus loin, une biche, se dandinant sous le nez du grand cerf, susurrait à l’oreille d’un loup qu’une grande paix avait envahi la forêt depuis cet événement. Une hermine s’était alors approchée de Bluette, lui prenant le sabot gauche avant pendant qu’un écureuil roux saisissait le droit, la poussant en avant. Quentin le bouquetin fut escorté quant à lui par un ourson blanc espiègle qui lui vola d’ailleurs un chocolat noir malencontreusement oublié dans ses cornes. Une mouflonne élégante talonnait le bouquetin, les yeux rivés sur son magnifique popotin musclé. Bluette m’a rapporté qu’elle avait même vu passer furtivement un gracieux pangolin, escorté de chauve-souris, venus incognito de Wuhan en Extrême-Orient. Et c’est ainsi que le cortège des animaux avait parcouru la forêt, bientôt rejoint par des hommes, des femmes, des lutins, des fées et des elfes, chantant de joyeuses mélopées derrière des masques (?!), soutenus par les King Singer’s et accompagnés par l’orchestre international des oiseaux, dirigé par Benoît le casse-noix (unanimement reconnu par ses pairs dans la direction du ballet Casse-Noisette il y a quelques années).

Sous les bourrasques de neige, l’immense cortège s’était arrêté ensuite devant un minuscule chalet et là, un enfant babillait, emmailloté dans une mangeoire, surveillé de près par une reine d’Entremont, un âne qui ne savait pas trop ce qu’il faisait là, des moutons à nez noir et par ses parents attendris. A l’arrière, dans une superbe maison en pain d’épices, un ours brun supervisait la fabrication de délicieux biscuits de Noël, aidé par une brigade de taupes joyeuses. C’est alors que ma vachette fut soulevée de terre par un sapin géant et elle put ainsi décrocher du ciel la belle étoile resplendissante.

C’est ainsi que Bluette et Quentin m’offrirent cette magnifique étoile lorsqu’ils franchirent ma porte d’entrée, le 25 décembre. Depuis ce jour-là, si je tends bien l’oreille, j’entends qu’elle me parle de jours heureux, de chocolats, de nature merveilleuse, d’un tout petit enfant et d’une grande paix sur la terre. Et si je la caresse doucement, elle diffuse dans toute la maison des effluves de pain d’épices et de vin chaud.

Même si tout cela peut vous paraître bien fantaisiste car on n’a jamais vu en Suisse ni de pangolins, ni une reine veiller sur un nouveau-né et encore moins une mouflonne draguer un bouquetin, l’étoile est pourtant bien réelle. Et Bluette et Quentin, par mon intermédiaire, vous font dire qu’il suffit parfois de contempler le ciel illuminé pour être heureux et de distribuer ensuite autour de soi un peu de ce bonheur.

Belles fêtes à vous toutes et tous.

Magasin Teuscher, Zurich


 Dédé © Décembre 2020

vendredi 11 décembre 2020

Océan

 



Montagnes dorées

Au-dessus d’un océan  -

La forêt s'endort

 

 Dédé © Décembre 2020  

vendredi 27 novembre 2020

L'étoile du jour

 


Et soudain, l’étoile du jour a surgi au faîte des arbres élancés, comme une sentinelle, pour éclairer d’un dernier rayon le tapis flamboyant de l’automne. C’est à ce moment que les feuilles mortes, depuis l’au-delà, ont murmuré des comptines d’enfance, de ce temps où l’on croyait encore aux farfadets espiègles peuplant la forêt magique. Dans ce brouhaha un brin mystérieux, l’automne a alors dansé tel un vieux fou revêtu de ses couleurs chaudes, comme s’il tirait sa révérence pour ne plus jamais revenir.

Echangeant un regard complice, nos mains se sont serrées et nous avons plongé dans les bois pour disparaître à tout jamais, enfermant entre nos doigts impatients des fragments de l’étoile du jour.

Nous en avons tapissé les parois de nos cœurs pendant que les feuilles mortes, là-bas, tournoyaient une dernière fois dans le vent froid de novembre.

 

Dédé © Novembre 2020  

vendredi 13 novembre 2020

L'automne d'or


Là où la vigne pousse, l’automne est d’or et l’homme est heureux.

Il faut emprunter l’un de ces petits chemins qui se détachent de la plaine et grimpent entre les murailles de pierres sèches. Et soudain, dans ces parcelles suspendues entre ciel et terre au-dessus du Rhône, c’est l’émerveillement.

Au fil des saisons, le vigneron cajole sa vigne qui ne fait qu’une avec son âme et son corps penché au-dessus des ceps. Au printemps, il faut lui parler avec douceur pour qu’elle daigne s’épanouir en de gais bourgeons puis en de tendres feuilles vertes. L’été, sous une chaleur digne du Sud, elle grandit encore et encore et les grappes s’alourdissent, craignant pourtant les orages parfois violents. En septembre, la vigne est gorgée de chaleur et du soleil de feu. L’or et le cuivre, d’abord discrets, prêtent leurs reflets au raisin impatient de chanter dans les cuves. Le Fendant, les perles de l’Ermitage et de l’Arvine, les Malvoisies, le rubis de la Dôle sont fins prêts à folâtrer entre les doigts des cueilleurs de joie. Les brumes du matin effleurent les coteaux, les rosées nocturnes mouillent les grains et le soleil encore chaud achève l’œuvre du vigneron. Tout est accompli et les vendanges peuvent débuter.

Alors, les vignobles sont envahis de travailleurs heureux et dans la vapeur de leur sueur, les coteaux sont ivres de bonheur. Octobre laisse quelques grappes oubliées pourrir joyeusement sous les doux rayons du soleil. Et dès la Toussaint, le vent d’automne chasse les dernières lueurs flamboyantes de la nature. Il faudra alors attendre et être patients, avant d’entrechoquer nos coupes d’étain pour célébrer le divin nectar valaisan car le jus fermentera pendant de longs mois, sous les yeux attentifs du vigneron.

Sans le parfum du vin, la vie serait moins exaltante et nous, moins exaltés. Tant de qualificatifs existent pour désigner sa robe, son goût, son tanin : gouleyant, élégant, pétillant, souple, fin, subtil, délicat, puissant, vif, noble, dense, opulent, corsé, bouqueté, riche, sphérique, robuste, nerveux, capiteux, généreux, moelleux, velouté. Il a le parfum du terroir et celui des hommes qui le travaillent. Dans ses larmes de joie qui lèchent le miroir des verres, il contient tout le climat, l’humide et le sec, le chaud et les coups rudes du froid, le trop mouillé, le trop chaud, la pluie, la grêle, la sécheresse, les tant redoutées gelées du printemps mais surtout l’amour du vigneron.

A notre prochaine noce, tu auras le cœur dans ton verre et le vin dans ton cœur. Et ce sera beau, comme toutes les fêtes célébrant la terre et le vin. Nous lèverons notre verre pour faire chanter l’espoir et ainsi, le soleil brillera au-dessus de la terre. Dans ce ciel sans nuages, le vigneron sourira. Et nous danserons encore et encore la valse du temps.  

Vraiment, là où la vigne pousse, l’automne est d’or et l’homme est heureux.

 

"Le vin est le fils du soleil et de la terre." Paul Claudel


Dédé © Novembre 2020