samedi 25 décembre 2021

Conte de Noël

 

Maître Zen



Cliquez et écoutez ce magnifique choeur d'hommes, très apprécié en Suisse romande.

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Dès l'apparition des premiers flocons, la mangeoire était prise d'assaut par les oiseaux: mésanges bleues, charbonnières, à tête noire, huppées, merles et merlettes, geais et même un casse-noix: les prises de bec n'étaient pas rares entre les différentes espèces et elle devait veiller au grain pour faire régner un tant soit peu d'ordre dans le restaurant.

Elle les admirait tous mais attendait avec une impatience certaine le retour des accenteurs alpins. Eux ne venaient picorer que si la neige tombait en abondance. Dès que les tempêtes hivernales étaient passées et que le soleil s'installait pour éclairer d'une blancheur éclatante le manteau neigeux, ils disparaissaient pour ne revenir qu'aux prochaines précipitations d'importance. Tous, sauf un. 

Cela faisait plusieurs années qu'il venait lui rendre visite, non seulement pour se sustenter mais aussi pour écouter d'une oreille attentive ce qu'elle lui racontait derrière la vitre. Il s'installait alors tranquillement et tout en admirant le paysage, dans une posture de grand sage, il diffusait ses conseils avisés, tant et si bien qu'elle l'avait appelé Maître Zen. 

Maître Zen était beau, comme peut l'être un très bel accenteur alpin. Plus grand qu'une mésange mais plus petit qu'un merle, il était bien dodu, surtout quand il faisait gonfler ses plumes lorsque les températures étaient très fraîches.

Sa gorge blanche était pointillée de points noirs alors que sur ses flancs élégants, de larges flammèches tirant du roux au marron étaient dessinées. Pendant de longues minutes, il restait immobile, contemplatif mais dès qu'elle sifflotait quelques airs connus, il dodelinait de la tête, heureux de pousser lui aussi la chansonnette. Non content d'échanger leurs histoires et quelques notes, un lien indéfectible les unissait car ils aimaient tous deux la montagne. En effet, Maître Zen connaissait le nom de tous les sommets environnants et il pouvait lui décrire par le menu détail les sentiers qu'elle pourrait emprunter là-haut, le printemps revenu.

Mais alors que le grand Hiver recouvrait tout, et pour se remémorer la belle saison, Maître Zen, bien campé sur ses petites pattes, lui contait les acrobaties de ses amis les bouquetins, les facéties des renards rusés, les premiers pas hésitants des faons, les parfums capiteux des fleurs, la danse de la fée des pâturages et la symphonie des cloches des troupeaux sur les hauts plateaux. Rien n'avait de secret pour lui, pas même la mélopée divine de la pleine lune caressant les cimes des sapins ou le chœur des étoiles scintillantes. Il connaissait aussi les cachettes des lutins de la forêt, toutes les cavités des écureuils étourdis et savait comme nul autre décrire les œillades enfiévrées de la biche pour le majestueux cerf, roi de la forêt. Il comprenait aussi tous les idiomes alpins, celui des marmottes, des chamois, sans oublier le langage très châtié de l'aigle royal.

Cette année-là, elle avait eu peur qu'il ne revienne pas car il était déjà bien vieux et tout le monde sait que les accenteurs alpins ne vivent pas centenaires. Mais dans le courant de décembre, remplie de joie et de gratitude, elle l'avait enfin reconnu dans la bande des joyeux drilles ailés, toujours aussi tranquille et ascète qu'auparavant. Pendant que les plus jeunes de la bande se volaient dans les plumes pour atteindre la mangeoire, il attendait tranquillement qu'une place se libère, pour s'y installer ensuite posément, tel le grand sage qu'il était.

Maître Zen était pourtant peut-être encore plus paisible que les saisons précédentes comme si cette année 2021 avait glissé comme l'eau sur les plumes d'un accenteur alpin. Et lorsqu'elle commença à lui raconter ses peines et ses joies, il l'écouta avec une attention accrue. Puis il prit la parole et lui narra, d'un pépiement dont seuls les accenteurs alpins sont capables, la grande paix qui allait s'installer sur la terre durant la nuit de Noël. Dans ce déferlement de notes cristallines qui s'échappaient du petit bec jaune du grand sage, elle devina une belle lumière briller là-bas, au fond de la forêt, là où les biches disparaissent tôt le matin lorsque les hommes sont encore profondément endormis. Et durant ce long discours qui semblait ne jamais cesser, il lui expliqua que tout serait possible durant cette grande nuit et celles qui suivraient et qu'elle se devait de garder l'espoir, envers et contre tout. Puis, après un dernier sifflotement suprêmement élégant, il lissa ses ailes avec application. 

Dans ce geste apparemment si anodin que font tous les accenteurs alpins quand ils sont heureux, elle vit alors que les plumes rousses de son vieux confident étaient recouvertes de poussières scintillantes dont seuls les animaux très rêveurs se parent lorsqu'ils s'approchent de la grande Étoile.  Ainsi, la veille de Noël, Maître Zen resplendissait d'or dans le petit matin frais et lui faisait don de cette brillance pour lui rappeler que tout est possible, à condition qu'on y croit très fort.

Le jour de Noël, Maître Zen était encore là, fidèle à son poste, à l'extérieur dans le froid mordant. Pendant qu'il méditait sagement, elle, de son côté, découvrit dans le salon qui fleurait bon le pain d'épice une magnifique surprise. Une délégation des animaux de la forêt accompagnés de Bluette s'étaient en effet rassemblés pour lui présenter fièrement une magnifique Étoile. 

Alors qu'elle admirait ce rutilant présent, Maître Zen entonna, de l'autre côté de la fenêtre, une mélopée de Noël ("O Nuit Brillante" en écoute plus haut), reprise en chœur par la troupe des animaux. 

Maître Zen est bien réel, je vous l'assure et l’Étoile continuera de briller, indéfiniment, pour mon plus grand bonheur mais aussi pour le vôtre.

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C'est avec ce conte que je vous souhaite, ainsi que Maître Zen, Bluette et toute la bande, de belles fêtes de fin d'année. Et je vous dis à l'année prochaine. Merci encore de votre fidélité à cet espace. Prenez soin de vous.

Ce blog sera en pause pendant quelques temps. 


Dédé ©Décembre 2021


vendredi 17 décembre 2021

Voyager léger

Santo Antao, Cap Vert, 2017


Cliquez.

Alors que le soleil brille généreusement sur les montagnes enneigées, on paresse, lâchant peu à peu prise, ce qui n'est franchement pas une habitude.

Il aura fallu des examens et encore des examens, une attente difficile, pour finalement s'entendre dire qu'il faut opérer pour être sûr, car c'est mieux ainsi, maintenant et pour après.

Maintenant et après? Mais finalement qu'est-ce le "maintenant" et le "après"? On décide déjà de s'occuper du maintenant, l'après viendra après, comme le suggère si bien son nom.  Et alors qu'on se remet doucement de l'opération, l'esprit se met à vagabonder, sans doute pour aider le corps à récupérer et à s'échapper des quelques douleurs qui subsistent encore.

Une odeur sucrée de panettone flotte dans l'air et un sapin majestueux, divinement éclairé, trône sur la gracieuse place Saint-Marc. Une gondole glisse sur l'eau et un chant mélodieux envahit la place, s'enroulant autour des ponts puis s'échappant d'un bond vers Murano. Le petit marché aux poissons diffuse des odeurs lancinantes qu'on n'apprécie guère mais d'autres autour de nous se pourlèchent les lèvres en achetant des bigorneaux et en imaginant leur futur festin. Et puis, au détour de la ruelle, on se retrouve devant un vieux château, perdu dans une lande austère, balayée par le vent et la pluie et quelques fantômes furtifs gambadent lugubrement sur les remparts. Dans l'air s'engouffre un air celtique envoûtant et des moutons paissent gaiement alors que le temps n'incite qu'à s'engouffrer dans un pub pour déguster une pinte. 

Dans le vieux pub envahi par la fumée d'une cheminée ancestrale, des marins dont les rides racontent les pêches fabuleuses boivent avec délectation la précieuse Guinness au son d'un violon un peu fou. On saisit alors un très furtif rayon de soleil traversant le rideau de pluie à l'extérieur et on s'empresse de le garder précieusement au creux de sa main afin qu'il ne s'échappe pas. Lentement, on ouvre alors la main et là, dans le creux de la paume, dort une île verte oubliée des hommes, "le petit pays" de Cesaria Evora, avec des routes défoncées, presque accrochées au ciel, sur lesquelles Desiderio nous a conduit avec brio, malgré sa voiture aussi vieille qu'une très très vieille voiture. Et sur les flancs des montagnes acérées qui modèlent ce paysage, quelques minuscules fermes éparpillées laissent entrevoir une vie de dur labeur pour survivre dans ce qu'on pourrait pourtant penser être le paradis sur terre.

Mais peut-être que le paradis se situe plutôt sous les aurores boréales, là où le Père Noël prépare les cadeaux pour tous les enfants de la terre. Mais les lutins du gros bonhomme n'ont que faire de notre visite car ils sont bien trop occupés en cette période de l'année. Alors le froid fait rapidement place au désert de Karakoum où les caravanes défilent sur la mythique Route de la Soie. Enlevée par un Sultan du désert, on débarque au son des tambours à Samarcande, Belle d'entre les belles, Perle au milieu des étendues ingrates. A l'ombre des coupoles éclatantes, on s'enfuit en riant sur les pavés chauds, pieds nus, pour rejoindre le coucher de soleil sur la grandiose place du Régisthan.

Avec cette explosion de sensations, une odeur suave d'épices envahit les ruelles éternelles, nous conduisant au festin offert par le Sultan dans son jardin de lumière, là où le poète égraine ses mots envoûtants au son du satô. Et dans cette torpeur qui alanguit les corps, on se retrouve soudain à parcourir un sentier vertigineux, accroché aux flancs d'une vallée où le temps s'est arrêté, au fond de laquelle une rivière tumultueuse emporte les cailloux venus du lointain Cho Oyu pendant que les fiers yacks broutent la maigre herbe dans les petits villages colorés.

Mais un tel voyage creuse l'estomac et on se surprend à pousser la porte d'une échoppe étroite et tout en bois à Aoste dans laquelle une vieille mama descendue de la montagne nous vante les mérites de son Fontina, nous mettant sous le nez un morceau odorant qui réveille tous nos sens. Et pendant qu'elle gesticule en parlant avec ses petites mains dodues, on jette un œil émerveillé sur un superbe jambon de Bosses accompagné du lard d'Arnad. On se remémore alors la magnifique échoppe de Parme où les jambons suspendus se moquaient des clients gastronomes venus du monde entier mais également l'odeur capiteuse d'une gigantesque choucroute alsacienne.

L'appétit rassasié, la soif apaisée avec une enivrante Malvoisie de Lanzarotte, on continue le périple, au gré des saisons, essuyant les tempêtes sur des chemins côtiers, se perdant à l'Ouest, retrouvant par hasard l'Asie centrale puis redescendant en Sicile dans des ruelles étroites où le temps s'est arrêté et où les vieux peinent à monter et descendre les centaines de marches. Et les monuments visités racontent des siècles d'Histoire, des joutes de guerriers, des princesses promises pendant que les chemins parcourus dévoilent nombre de montagnes et de volcans mythiques que bien d'autres ont parcourus avant nous. Que de coupoles, de vieux toits bringuebalants, de minuscules chapelles, de musées altiers avons-vous contemplés!

Pendant que la mésange bleue picore dans la mangeoire à l'extérieur, on s'étire après tant et tant de kilomètres parcourus, le corps fourbu mais l'âme en fête. Et là, au creux de sa mémoire, après toutes les senteurs des pays traversés, une odeur entêtante de fondue s'installe, celle de Papa, légère, fondante, de celle qui ferait qu'on se lèverait la nuit pour planter la fourchette dans le caquelon. Mais cette fondue existe, on l'a dégustée il y a peu et ce n'était pas un rêve. C'était "dans mon petit pays que j'aime beaucoup".

Les rêves ont une fin mais là, il n'y a aucun regret car même si le périple fut beau, le Sultan magnifique et le Père Noël bedonnant, il n'est pas de meilleur endroit que chez soi pour rêver au rêve. En effet, si voyager ouvre l'esprit et les papilles, réjouit et nous grandit, parfois, il suffit simplement de rester là où on est pour être heureux.

Probablement que cette convalescence forcée dans une année pleine de chaos ici et ailleurs sonne le glas d'un tas de choses inutiles qu'il vaut mieux abandonner pour retrouver la légèreté de notre périple intérieur.  

L'expression "voyager léger" prendra ainsi toute son importance et peut-être que moi aussi je pourrai voir, un jour, la panthère des neiges.

Ragusa, Sicile, 2016

 

P.S. Le prochain billet sera le traditionnel conte de Noël de Dédé, attendu avec impatience (?). Il devrait paraître durant la période des fêtes. Ensuite le blog sera quelques temps en pause. Merci à toutes et tous. 

 

 Dédé ©Décembre 2021

vendredi 3 décembre 2021

Le cri

 


 

Il était figé le petit bonhomme. Les yeux caves, la bouche ouverte et dans cette grimace indéchiffrable, il fixait une scène étrange qui m'échappait. 

Je me suis retournée plusieurs fois, aux quatre coins cardinaux, mais je n'ai rien vu qui méritât une telle expression.

Indécise, je ne savais s'il fallait que je poursuive mon chemin ou que j'ose une conversation qui sans doute n'aurait été qu'un monologue car tout le monde sait que les arbres ne parlent pas. Je suis donc restée là, sans bouger, respirant à peine, espérant que son expression change et qu'il me sourie enfin. 

Mais tout le monde sait que les arbres ne sourient pas. 

De longues minutes se sont alors écoulées, peut-être une heure, peut-être une éternité. Et quand enfin j'osai un geste, il ne se passa rien. La face resta ainsi, l'expression muette et pourtant si sonore que mes tympans en étaient déchirés.

J'étais seule face à lui et je décidai enfin, l'angoisse vissée au corps, de quitter définitivement cet atmosphère étrange qui à mon sens ne faisait qu'empirer. 

Lui continuait sa grimace, sans queue, ni tête.  

Je fis donc prudemment un pas sans faire de bruit sur le parterre des feuilles mortes et quand j'estimais que la distance entre lui et moi était acceptable, je me retournais lentement. Mais sa posture demeura absolument identique, comme si le temps avait sculpté dans l'écorce le dessin d'une clameur éternelle.

C'est alors que je saisis que ce n'était pas une scène extraordinaire qui l'accaparait.

Non, ce qui provoquait ce long cri aphasique chez le petit bonhomme en bois, c'était simplement moi et ce que je représentais. Et dans une sueur glacée, je compris que c'était l'humanité entière dont j'étais l'émissaire bien malgré moi en cet instant, société humaine imbue d'elle-même, sachant tout mais ne comprenant souvent rien qui défigurait ainsi le visage même de la nature.

Je pris alors mes jambes à mon cou pour ne jamais revenir dans cette clairière hantée.

Même si tout le monde sait que les arbres ne parlent pas et qu'ils ne sourient pas, soyez sûrs qu'ils n'en pensent pas moins.

Dédé ©Décembre 2021

vendredi 19 novembre 2021

Mariage blanc

 


En cette fin de journée, la timide pyramide de pierre avait relâché son voile de jeune épousée, dévoilant avec pudeur ses flancs encore automnaux alors que son sommet baignait déjà dans les tons froids de l'hiver. Son mariage blanc ne faisait que commencer, augurant de longs mois de tourmente, de neige et de glace.

Le bouquetin avait observé de son oeil d'or les premiers flocons et posément, les cornes fières, il avait revêtu son manteau chaud, afin d'être prêt à affronter les assauts déjà bondissants de l'hiver. Puis, lentement, tel un grand sage, il s'était ébroué et de sa voix profonde, il avait informé l'assemblée des animaux alpins qu'il était temps de redescendre dans des terres moins inhospitalières. Et pendant que le cortège se mettait en route pour la vallée, les mésanges étaient venues voleter devant ma fenêtre pour me faire signe que les insectes venaient à manquer pour leur repas quotidien.

En effet, il était grand temps de préparer la mangeoire pour tous mes amis ailés et de guetter avec bonheur le retour de mes chers confidents, les accenteurs alpins, qui de longs mois durant, me conteraient leurs aventures estivales, là-haut dans les pierriers montagneux.

C'est ainsi que l'hiver arrive chez moi, lentement, doucement, poussant dans ses derniers retranchements et avec autorité un automne vieillissant. Mais dans ce dépouillement de la nature, je sais qu'auprès de toi, il fera chaud, même dans les plus grands frimas.

 

Dédé © Novembre 2021  

vendredi 5 novembre 2021

Musique automnale


Et pendant que l'homme volait, les mélèzes dansaient, au son de la douce musique automnale. 

 

Dédé © Octobre 2021 

vendredi 22 octobre 2021

Clair-Obscur

 

La vie, c'est souvent cela: un clair-obscur dans lequel il est parfois bien difficile de se guider. 

 

Dédé © Octobre 2021

vendredi 8 octobre 2021

Union


 

Après toute la pluie tombée, l'épais brouillard et les nuages altiers, une timide éclaircie s'installe enfin en ce début d'octobre, s'accrochant de toutes ses forces aux parois. Et dans un soleil qui ne réchauffe déjà plus à cette saison, le spectacle grandiose apparaît soudain, célébrant l'union éphémère mais si belle d'un automne guilleret avec un hiver bien trop prétentieux.

Dédé © Octobre 2021

vendredi 24 septembre 2021

La glace

 


Inexorablement, la glace recule, comme si elle craint de se retrouver nez à nez avec les hommes. 

La montagne, blessée, regarde la plaine avec tristesse. Ramassée sur elle-même, faisant presque grise mine, elle reste pourtant si fière. 

Entre elle et moi ce jour-là, quelques impressions ont été échangées, comme pour se dire que cela suffisait.

Et le ciel, au-dessus de nous, a rugi pour dire sa colère. 

 

 Dédé © Septembre 2021 



vendredi 10 septembre 2021

Immensité

 


Je constate, au fil du temps, que c’est toujours vers la montagne que je reviens, indubitablement, sans concession. Elle est silence même si les insectes butinent en vrombissant, si le vent apporte le bruit léger des ailes du rapace juste au-dessus du sentier, si les fleurs chantent des mélopées suaves remplies de sucre et de senteurs qu’on ne peut nommer. Ses paysages, équilibrés et merveilleux, chantent la vie.

Bien timide cette année, l’été bondit enfin en ce mois d’août, avec ses couleurs, ses parfums capiteux et les vaches, plus bas dans la vallée, font retentir leurs cloches pour célébrer l’herbe fraîche ondulant enfin sous les rayons du soleil.

Dans cette profusion de sensations et le cœur en fête, je me surprends, ce jour-là, à vouloir devenir un bouquetin, fier équilibriste des falaises, pour gambader sans fin sur les sommets. Ainsi transformée, je contemplerai le monde avec mon œil d’or, au-dessus des remous terrestres et plus rien ne m’atteindra, dans cette immensité que l’homme ne pourra jamais dompter.

 Dédé © Septembre 2021

vendredi 30 juillet 2021

Eclaircies?

 


C'est ainsi, presque jour après jour. Les nuages envahissent le ciel, défiant le soleil avec arrogance, en toute impunité. Ce dernier ne sait comment agir, battre en retraite ou prendre les armes pour s'imposer. Et quand il doute, dardant un timide rayon ici ou là, la pluie profite de ses tergiversations pour s'inviter, régulièrement, en grosses gouttes orgueilleuses ou en fins rideaux glacés.

Et pourtant, ce ciel menaçant et majestueux, comme un amas de crème fouettée au-dessus d'une glace au parfum d'enfance, nous invite à plonger dans des délices interdits.

C'est un été étrange, qui suit un déconcertant printemps, qui lui a remplacé un hiver ébouriffant. 

Il n'y a, je crois, qu'à admirer ce que la nature daigne bien nous offrir et à penser à toutes celles et ceux que ce temps étrange et perturbé a précipité dans un futur bien angoissant. 

Prenez soin de vous. 

P.S.: Je suis toujours en pause, voire en pose.

 Dédé © Juillet 2021

jeudi 1 juillet 2021

Arc-en-ciel

 
 
Cela a été un drôle de printemps et je me retrouve à l’entrée de l’été bien esseulée car ma meilleure amie J. s’en est allée. Elle et moi avions partagé tant de choses, de joyeux moments, avec son mari aussi quand il était encore là. Espiègles, souvent le mot pour rire, nous passions des heures à passer en revue les histoires du village, à admirer les montagnes et les géraniums sur son balcon et à deviser sur notre humanité. 47 ans nous séparaient mais ce grand écart n’a jamais compté, ni pour elle, ni pour moi. L’amitié, l’affection et le respect étaient bien plus importants qu’un nombre qui ne signifiait finalement rien.

Elle était une lueur pour moi, comme une petite bougie toujours allumée en cas de besoin, afin d’éclairer mon chemin parfois bien obscur. Elle aimait Jean-Sébastien Bach, les chocolats Femina et le Favi que l’on dégustait à l’apéro le dimanche.

Et puis ces derniers mois, la petite flamme a vacillé, peu à peu, s’éteignant finalement au mois d’avril. En ces temps perturbés de pandémie, nous nous sommes retrouvés en tout petit comité pour lui rendre un dernier hommage et lorsque son cercueil est ressorti de l’église, j’ai carillonné quelques notes en son honneur, elle qui aimait tant entendre les cloches depuis le balcon de son magnifique chalet.

Elle avait de la peine à marcher J. et elle devait s’aider d’une canne pour traverser le village. Quand j’étais avec elle, elle faisait mine de l’oublier, pour mieux s’accrocher en riant à mon bras. Mais depuis qu’elle n’est plus là, c’est moi qui suis bancale.

Cela a été un drôle de printemps durant lequel la neige s’est invitée régulièrement comme si elle ne voulait justement pas que cela soit un vrai printemps. Heureusement que mon ami l'écureuil est régulièrement venu me rendre visite car mon moral déclinait. Et puis finalement les fleurs ont jailli en chœur, les sonnailles des vaches ont retenti à nouveau dans les alpages et le merle a entamé ses mélopées tous les soirs au sommet du sapin là-bas. J. a dû trouver son chemin dans les méandres célestes sans qu'elle ait besoin de mon bras pour clopiner.

Aujourd’hui, il est temps pour moi de prendre une pause bloguesque car ce fut vraiment un drôle de printemps qui me laisse un peu hébétée. Je m’en vais glisser sur les arcs-en-ciel et peut-être qu’avec tous mes amis de la forêt, nous composerons la symphonie de l’été.

Bel été à toutes et tous. Prenez soin de vous.


 Dédé © Juillet 2021

vendredi 18 juin 2021

Fontaine de vie

 


Ce printemps qui, pour ainsi dire n’avait jamais vraiment existé, s’est mis soudainement à tressauter, à jaillir de partout, en seulement quelques jours. Les prairies ont verdi et le merle a chanté, de plus en plus fort.  Son chant s’est enroulé autour des troncs des mélèzes et des sapins, répondant à celui du pinson et aux salutations matinales du coucou. Les écureuils ont retrouvé leurs sourires, les mésanges ont donné la becquée aux petits oisillons tout juste nés et les lièvres ont organisé leurs joutes printanières pour sacrer "le champion des plus grandes oreilles" de toute la communauté.

Là-haut, l’hiver a vécu ses derniers soubresauts, fier et combattif, gardant encore sous son plastron de nombreuses plaques de neige.

Lorsque les cieux tourmentés ont tournoyé au-dessus de la montagne ce jour-là, j’ai su que l’été allait arriver, envers et contre tout.

Alors, j’ai admiré cette pluie diluvienne, fontaine de vie lavant les derniers affronts, effaçant les mauvais souvenirs et abreuvant avec force les pâquerettes avides de vie. 

 Dédé © Juin 2021

vendredi 4 juin 2021

Printemps timide

 

 



Sur les sommets blancs

Le printemps joue au timide -

Marcheur en attente

 

 Dédé © Juin 2021

 

vendredi 21 mai 2021

L'envie de

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Il m'est venue l'envie, sourde, presque viscérale, de m'échapper, de rejoindre ces terres hostiles balayées par le vent du Nord, où l'être humain n'est rien, où seul le souffle du vent dit tout. 

Il m'est venue l'envie de me perdre dans un océan de vert profond, de bleu froid, de gris si chatoyant qu'il n'existe que là-bas, d'être une princesse dans un vieux château oublié des hommes et d'entendre le chant d'un violon et d'une flûte scander les danses des esprits de la lande. 

Il m'est venue l'envie d'affronter les tourbières, de plonger dans des lacs miroitants, de me perdre dans des brumes évanescentes et de gravir des montagnes austères que personne n'a jamais escaladées.

Il m'est venue l'envie  de ne croiser que des moutons et des chevaux sauvages et de parcourir les rares chemins serpentant au milieu de vastes étendues de rocailles, semées d'herbe rousses et vertes où gambadent les lutins facétieux. 

Il m'est venue l'envie de m'enivrer avec un whisky capiteux qui déchire le gosier et qui, lorsqu'il coule dans les veines, ravive la flamme des temps oubliés.

Oui, je crois que j'ai envie de Nord, de vent, d'espace, d'Irlande ou peut-être d'Ecosse, voire même du Dartmoor que j'ai tant aimé.

Ces terres-là, mon ami, ce sont celles dont je rêve si souvent, juste encore une fois, pour nous échapper, pour nous noyer dans cette lumière tragique qui n'existe que là-bas.

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P.S. Je suis très occupée ces temps-ci. Mais je ne vous oublie pas. 

Une petite information : pour celles et ceux qui sont abonnés et reçoivent des alertes lorsque je publie des billets, j'ai été informée que ce service ne sera plus disponible tout prochainement. Je cherche une solution de remplacement mais n'en ai pas encore trouvée. Merci de votre compréhension.

 Dédé © Mai 2021

vendredi 2 avril 2021

Paris, Pitchoune et B.

 

(Photo prise en 2008 à travers une vitre, la qualité n'est pas la meilleure mais c'est un très bon souvenir)

 
« Ma mie, un mot car je ne puis rester silencieux plus longtemps. Et pourtant, tu es la dernière à qui j'ai envie d'écrire… »

Ainsi commençait sa dernière missive qui m’apprenait le mal incurable dont il souffrait. A cette lecture, à la fin de l’été dernier, la tristesse m’a envahie pour ne plus vraiment me quitter chaque fois que je pensais à lui et à ce que nous avions vécu.
 
Je l’avais rencontré sur les blogs en 2006. Mais peut-on parler d’une rencontre quand on ne voit pas le visage de l’autre, quand on n’entend pas son rire, quand on ne voit pas ses yeux ? Et pourtant, ce fut le cas, une découverte mutuelle d’abord virtuelle par des échanges sur nos blogs respectifs, ensuite dans des courriels très réguliers, puis s’ancrant enfin dans la vraie réalité un jour de mars 2008 où Paris était bien gris et froid. J’avais décidé, à cette période, de prendre un peu le large le temps de quelques jours et j’étais, comme on dit, « montée à Paris ». Sur le quai de la gare de Lyon, l’expert en instruments scientifiques et antiquités de marine m’attendait, le sourire accroché aux lèvres, confiant dans cette rencontre et dans tout ce que nous allions vivre par la suite. Depuis ce printemps-là, je venais lui rendre visite une à deux fois par année dans la Ville des Lumières. Toujours à l’écoute, il savait presque tout de ma vie. Même si je ne lui disais pas toutes les épreuves, il les devinait et avait toujours un conseil bienveillant à me prodiguer. Espiègle, il riait aussi à mes déboires et me disait souvent que ma vie pouvait être matière à écrire un roman.

Que de bon temps passé dans les petits troquets de Paris, dans des brasseries prestigieuses, dans la rhumerie, dans le restaurant de la Tour Montparnasse, à trinquer peut-être plus que de raison mais à refaire le monde de bien des façons. Il aimait le vin, la bonne chère, les oreilles de cochon, le pâté en croûte et le chocolat suisse dont j’étais devenue sa principale fournisseuse. Il fumait d’abominables cigarillos dont les mégots envahissaient le cendrier de sa voiture. Son magasin d’antiquités était une caverne d’Ali Baba et quand j’en poussais la porte, je me surprenais à caresser la proue de la maquette d’un trois-mâts datant du 18ème siècle qu’il allait vendre bientôt à un passionné pour quelques milliers d’euros. Moi la montagnarde, j’avais découvert grâce à lui Marin-Marie qu’il me contait avec passion. J’en avais d’ailleurs presque le mal de mer ou alors était-ce à cause du rosé que nous buvions avec passion à l'apéro, à l'arrière de son magasin.
 
Il aimait Paris et il adorait la mer et il n’était jamais aussi heureux que lorsqu’il descendait dans le Sud retrouver son petit bateau à Cassis. Il me parlait alors avec délice des plats d’huitres et du vin blanc qui les accompagnait et de ses nombreux copains avec qui il aimait assister aux couchers du soleil sur la Grande Bleue.

A chacune de mes visites, il me concoctait un programme divers et varié, souvent agrémenté d’une visite de musées et toujours une bonne table à laquelle on s’éternisait. Nous avons traversé les jardins de Giverny, arpenté les quais de la Seine, parcouru le parc des Buttes-Chaumont (« il te faut quand même des montagnes » m’avait-il dit lors de cette visite), salué Rodin, Picasso et Van Gogh, vogué sur une péniche et ri comme des fous devant la bêtise du monde. Le lendemain du 13 novembre 2015, il m’envoyait pourtant un message pour me demander si j’étais encore vivante. Nous venions de nous quitter le jour d’avant après avoir visité l’institut du monde arabe et célébré la vie en dégustant un excellent vin algérien et un délicieux couscous. Je lui avais alors répondu ma peur de m’être trouvée au cœur des tristes événements et que je ne reviendrai plus à Paris. Et là, dans un éclat de rire, teinté d’un sérieux contenu, il m’avait écrit : « C’est ce que veut Daech. Reviens vite pour montrer que les Suissesses n’ont peur de rien ».

Il veillait sur moi à distance, comme il aimait à le dire et lorsque nous nous retrouvions à Paris, c’était comme si on ne s’était jamais quittés. Heureux, il l’avait été quand je lui avais annoncé le virage bénéfique opéré dans ma vie, mon installation dans les montagnes et une existence plus sereine là-haut, bien accompagnée. « Pitchoune, tu redeviens Heidi », avait-il déclaré.

J’ai appris tout dernièrement son décès et cette nouvelle me rend infiniment triste. Pourtant, confusément, je sais qu’il continue à veiller sur moi, comme il l’a toujours fait. Juste que la distance est encore plus grande que d’habitude ou alors peut-être bien plus courte car il restera à jamais là, au fond de mon cœur. Et quoi de plus normal que je lui rende hommage sur ce blog, puisque c’est de cette façon-là que nous nous sommes rencontrés en 2006.

Merci pour tous ces beaux souvenirs qui tapissent à jamais le fond de mon cœur. Je te souhaite mon cher B., de voguer dorénavant sereinement sur ton petit bateau coloré, dans les embruns de la mer que tu aimais tant. Et promis, quand je reviendrai à Paris, nous irons boire avec P. un rhum à ta santé.


(Marin-Marie, "Voilier au large des côtes rocheuses")

P.S. C'est avec ce billet que je vous laisse quelques temps. Prenez soin de vous et à bientôt. Belles fêtes de Pâques à chacune et chacun.

 Dédé © Avril 2021


vendredi 19 mars 2021

Petit plaisantin

 

Petit plaisantin.
On l’avait cru définitivement parti, aux abonnés absents pour longtemps.
Pourtant, depuis quelques jours, le ciel déverse des coulées blanches monochromes.
En plaine, la sève, suintant des sarments, est vite redescendue se calfeutrer dans le cœur des ceps.
Les abricotiers précoces ne savent plus à quels saints se vouer :
Garnis de minuscules fleurs, ils grelottent en se lamentant.

Les merles et accenteurs alpins reviennent en force quémander quelques graines.
Lui, heureux d’avoir berné tout le monde, danse des farandoles devant ma fenêtre,
Pendant que je cueille un flocon au creux de ma main.
Ici, il est roi, pour quelques jours encore,
Avec plein d’histoires à nous chuchoter.
L’hiver est revenu, erratique, extatique.
Petit plaisantin.

 

 Dédé © Mars 2021