Cliquez et écoutez ce magnifique choeur d'hommes, très apprécié en Suisse romande.
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Dès l'apparition des premiers flocons, la mangeoire était prise d'assaut par les oiseaux: mésanges bleues, charbonnières, à tête noire, huppées, merles et merlettes, geais et même un casse-noix: les prises de bec n'étaient pas rares entre les différentes espèces et elle devait veiller au grain pour faire régner un tant soit peu d'ordre dans le restaurant.
Elle les admirait tous mais attendait avec une impatience certaine le retour des accenteurs alpins. Eux ne venaient picorer que si la neige tombait en abondance. Dès que les tempêtes hivernales étaient passées et que le soleil s'installait pour éclairer d'une blancheur éclatante le manteau neigeux, ils disparaissaient pour ne revenir qu'aux prochaines précipitations d'importance. Tous, sauf un.
Cela faisait plusieurs années qu'il venait lui rendre visite, non seulement pour se sustenter mais aussi pour écouter d'une oreille attentive ce qu'elle lui racontait derrière la vitre. Il s'installait alors tranquillement et tout en admirant le paysage, dans une posture de grand sage, il diffusait ses conseils avisés, tant et si bien qu'elle l'avait appelé Maître Zen.
Maître Zen était beau, comme peut l'être un très bel accenteur alpin. Plus grand qu'une mésange mais plus petit qu'un merle, il était bien dodu, surtout quand il faisait gonfler ses plumes lorsque les températures étaient très fraîches.
Sa gorge blanche était pointillée de points noirs alors que sur ses flancs élégants, de larges flammèches tirant du roux au marron étaient dessinées. Pendant de longues minutes, il restait immobile, contemplatif mais dès qu'elle sifflotait quelques airs connus, il dodelinait de la tête, heureux de pousser lui aussi la chansonnette. Non content d'échanger leurs histoires et quelques notes, un lien indéfectible les unissait car ils aimaient tous deux la montagne. En effet, Maître Zen connaissait le nom de tous les sommets environnants et il pouvait lui décrire par le menu détail les sentiers qu'elle pourrait emprunter là-haut, le printemps revenu.
Mais alors que le grand Hiver recouvrait tout, et pour se remémorer la belle saison, Maître Zen, bien campé sur ses petites pattes, lui contait les acrobaties de ses amis les bouquetins, les facéties des renards rusés, les premiers pas hésitants des faons, les parfums capiteux des fleurs, la danse de la fée des pâturages et la symphonie des cloches des troupeaux sur les hauts plateaux. Rien n'avait de secret pour lui, pas même la mélopée divine de la pleine lune caressant les cimes des sapins ou le chœur des étoiles scintillantes. Il connaissait aussi les cachettes des lutins de la forêt, toutes les cavités des écureuils étourdis et savait comme nul autre décrire les œillades enfiévrées de la biche pour le majestueux cerf, roi de la forêt. Il comprenait aussi tous les idiomes alpins, celui des marmottes, des chamois, sans oublier le langage très châtié de l'aigle royal.
Cette année-là, elle avait eu peur qu'il ne revienne pas car il était déjà bien vieux et tout le monde sait que les accenteurs alpins ne vivent pas centenaires. Mais dans le courant de décembre, remplie de joie et de gratitude, elle l'avait enfin reconnu dans la bande des joyeux drilles ailés, toujours aussi tranquille et ascète qu'auparavant. Pendant que les plus jeunes de la bande se volaient dans les plumes pour atteindre la mangeoire, il attendait tranquillement qu'une place se libère, pour s'y installer ensuite posément, tel le grand sage qu'il était.
Maître Zen était pourtant peut-être encore plus paisible que les saisons précédentes comme si cette année 2021 avait glissé comme l'eau sur les plumes d'un accenteur alpin. Et lorsqu'elle commença à lui raconter ses peines et ses joies, il l'écouta avec une attention accrue. Puis il prit la parole et lui narra, d'un pépiement dont seuls les accenteurs alpins sont capables, la grande paix qui allait s'installer sur la terre durant la nuit de Noël. Dans ce déferlement de notes cristallines qui s'échappaient du petit bec jaune du grand sage, elle devina une belle lumière briller là-bas, au fond de la forêt, là où les biches disparaissent tôt le matin lorsque les hommes sont encore profondément endormis. Et durant ce long discours qui semblait ne jamais cesser, il lui expliqua que tout serait possible durant cette grande nuit et celles qui suivraient et qu'elle se devait de garder l'espoir, envers et contre tout. Puis, après un dernier sifflotement suprêmement élégant, il lissa ses ailes avec application.
Dans ce geste apparemment si anodin que font tous les accenteurs alpins quand ils sont heureux, elle vit alors que les plumes rousses de son vieux confident étaient recouvertes de poussières scintillantes dont seuls les animaux très rêveurs se parent lorsqu'ils s'approchent de la grande Étoile. Ainsi, la veille de Noël, Maître Zen resplendissait d'or dans le petit matin frais et lui faisait don de cette brillance pour lui rappeler que tout est possible, à condition qu'on y croit très fort.
Le jour de Noël, Maître Zen était encore là, fidèle à son poste, à l'extérieur dans le froid mordant. Pendant qu'il méditait sagement, elle, de son côté, découvrit dans le salon qui fleurait bon le pain d'épice une magnifique surprise. Une délégation des animaux de la forêt accompagnés de Bluette s'étaient en effet rassemblés pour lui présenter fièrement une magnifique Étoile.
Alors qu'elle admirait ce rutilant présent, Maître Zen entonna, de l'autre côté de la fenêtre, une mélopée de Noël ("O Nuit Brillante" en écoute plus haut), reprise en chœur par la troupe des animaux.
Maître Zen est bien réel, je vous l'assure et l’Étoile continuera de briller, indéfiniment, pour mon plus grand bonheur mais aussi pour le vôtre.
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C'est avec ce conte que je vous souhaite, ainsi que Maître Zen, Bluette et toute la bande, de belles fêtes de fin d'année. Et je vous dis à l'année prochaine. Merci encore de votre fidélité à cet espace. Prenez soin de vous.
Ce blog sera en pause pendant quelques temps.
Dédé ©Décembre 2021