vendredi 23 décembre 2022

Garder son âme d'enfant (conte de Noël)

 

 

(Cliquez sur le lien pour avoir l'animation musicale)


Toujours accompagné de sa palette aux mille nuances et de son pinceau magique, il gambadait tout au long de l’année par monts et par vaux, sifflotant à tue-tête des mélopées étranges ou alors se taisant pendant de longs instants quand il fallait s’appliquer sur un tableau nécessitant une grande concentration. Sa palette était composée de couleurs toutes plus poétiques les unes que les autres. Ainsi, les verts servaient à habiller les sapins de nos forêts mais avec un mélange d’eau et d’un peu de magie d’un autre monde, ce vert puissant se transformait alors en une teinte bien plus tendre qui colorait les pelouses d’Irlande ou donnait une tonalité des plus appétissantes aux fruits des pommiers. Immaculés, les blancs habillaient l’ours polaire du grand Nord en le rendant très élégant et agrémentés de quelques paillettes, ils tapissaient la montagne d’une neige délicate l’hiver venu. Les vermillons transformaient les couchers de soleil en des scènes presque irréelles alors que les jaunes rendaient gloire aux fiers tournesols dans les vastes plaines. Il avait transcendé également les costumes des libellules, des martins-pêcheurs, des amanites tue-mouche et du rouge-gorge narcissique qui, tous les matins penché sur le ruisseau, s’admirait et remerciait son costumier en gonflant son plastron coloré.

Quand les couleurs s’épuisaient, il se hâtait chez ses amies les fées qui lui concoctaient, dans de gigantesques chaudrons, des mélanges toujours plus subtils pour enrichir ses créations artistiques.

Jamais à court d’idées, il transcendait ainsi les saisons et les paysages. L’hiver froid et rigoureux, il le rendait presque supportable et beau avec des nuances subtiles de gris et de blancs et même les bois nus semblaient vêtus d’un délicat manteau de dentelle. L’hermine et le lièvre se réjouissaient, les frimas revenus, de gambader dans les prés, prenant plaisir à réveiller certains animaux en hibernation pour leur dévoiler leurs étincelants apparats hivernaux. Au printemps, les bourgeons, d’abord timides, se transformaient en délicates fleurs embaumant l’atmosphère et les arbres revêtus de leurs plus beaux atours se congratulaient entre eux, commentant avec enthousiasme son excellent travail. En été, les ciels menaçants se gaussaient de tous, après qu’il leur eut dessiné des nuages imposants, tirant à la fois sur le bleu et sur le gris, gonflés d’une pluie d’orage qui ne demandait qu’à se déverser sur les prairies assoiffées. Mais lui, c’était l’automne qu’il chérissait par-dessus tout car les teintes chaudes étaient ses préférées. Dans les forêts du monde entier, il laissait alors libre cours à sa fantaisie créatrice. D’ailleurs, les érables l’attendaient toujours avec impatience pendant que le vieux chêne centenaire se délectait de voir son feuillage virer au rouge dès les premières gelées et de pouvoir parader devant son ami l’écureuil venu faire ses provisions de glands au pied de sa souche.

Il aimait la Toscane et ses collines ondoyantes et les glaciers alpins qui n’avaient plus de secret pour lui même si, à plusieurs reprises, il avait failli perdre sa palette dans leurs innombrables crevasses. Il avait traversé à maintes reprises les déserts africains, épuisant les rouges et les bruns de sa palette, s’était brûlé le bout des sandales dans les éruptions des grands volcans de la planète alors qu’il esquissait les contours d’une coulée de lave, connaissait chaque pierre des châteaux écossais ainsi que leurs nombreux fantômes, avait vaincu à plusieurs reprises le Kangchenjunga sans oxygène pour atteindre les nuages afin de les transformer en nuances délicates. Il avait dessiné les eaux turquoises des lagons indonésiens et avait colorié le ciel face aux moaï muets de l’île de Pâques. Cela faisait des siècles qu’il parcourait ainsi la terre prenant conseil chez les plus grands peintres. Ainsi, il avait devisé avec le Caravage sur la technique du clair-obscur et s’était un peu moqué du noir profond de Soulages. Picasso lui avait fait craindre le pire avec ces modèles cubiques mais en contrepartie il s’était perdu avec délice dans les délires tourmentés de Turner.

Mais même après tous ces siècles à parader dans les prairies, à traverser les tunnels, à gravir les montagnes et à naviguer sur les océans du monde entier, toujours accompagné de sa merveilleuse palette, il savait que le lieu où il reviendrait toujours était ce petit pays au milieu de l’Europe, si petit mais où se lovent de si grands et fiers sommets. Car devant la fenêtre d’une maison perdue là-haut, un petit bout de femme l’attendait toujours impatiemment. Elle était si exigeante qu’il sentait que donner le meilleur de lui-même ne suffisait plus. Il fallait qu’il magnifie les ciels, qu’il sculpte les montagnes et endimanche les animaux de la forêt d’exquises parures. Alors, au printemps, il effaçait la neige à grands coups de pinceau vert tendre et en été, il coloriait les fleurs des alpages. En automne, il faisait danser les mélèzes mordorés et en hiver, il ciselait les délicats flocons de neige. Il faisait également apparaître dans les alentours de la maison des écureuils bruns facétieux, des mésanges bleues ou huppées, des accenteurs bigarrés et de malicieux renards roux. Il offrait des carmins, des ors, des malachites, des cobalts et les mélangeait pour trouver la meilleure combinaison, s’appliquant à rendre le spectacle chaque jour toujours plus beau.

Comme Noël approchait, il pressentait qu’il devrait encore se surpasser pour que la fête soit lumineuse. La veille de Noël, il s’installa donc au sommet de la montagne, cherchant l’inspiration, apprêtant ses couleurs et réfléchissant intensément. Et puis, à petits et grands coups de pinceau, il commença son œuvre du jour.  Pendant de longues minutes, il s’appliqua à envelopper les pierres de couleurs dont personne ne savait le nom. Puis, quand il eut achevé ses traînées élégantes dans le ciel, il prit quelques minutes pour contempler son œuvre qu’il n’osa plus retoucher tellement il était fasciné. Enfin, il ajusta avec application le rouge chatoyant du manteau du Père Noël qui filait déjà sur son traineau pour sa tournée mondiale des cadeaux. Il saupoudra tous les biscuits de Noël d’une fine pellicule de sucre glace et s’appliqua à rendre l’Étoile aussi scintillante que possible. Et pendant qu’il achevait tout ceci dans une frénésie proche de l’extase, il entendit des clameurs de joie sur la terre. Son tableau du jour était effectivement plus que grandiose et là, ravi, il reposa enfin son pinceau. Les fées valsèrent de joie, le cerf plissa les yeux se demandant s’il rêvait, l’aigle jubila dans ce soleil couchant presque irréel et le ballet des mésanges acclama le grand artiste, le peintre de l’univers. Même les marmottes se réveillèrent furtivement pour admirer le spectacle fulgurant. Car en quelques minutes, le soleil s’était déjà enfui, laissant la montagne aux prises avec la nuit tombante alors que résonnait une marche de Tchaïkovski interprétée par l'orchestre des lutins de la forêt.

Vous me direz que ceci est bien joli et tout droit sorti de mon imagination. Car si un bonhomme chargé d’une palette de couleurs et d’un pinceau magique avait traversé les siècles, côtoyé les grands et les petits de ce monde, sublimé les paysages et habillé chaque animal d’un manteau diapré selon les saisons, on en aurait parlé dans tous les livres d’histoire. Mais je vous assure, tout ceci est bien réel car j’étais là face aux montagnes et pendant quelques instants éphémères, le rêve est devenu réalité. Et je suis persuadée que chez vous, devant votre fenêtre, au détour de la rue, dans le rire des enfants, dans les petites et les grandes choses de vos vies, les couleurs resplendissent pour peu que vous soyez ouverts aux merveilles du monde.

Il suffit pour cela de garder son âme d’enfant.


Je vous souhaite à toutes et tous de belles fêtes de fin d'année. Bluette et Quentin vous offrent également quelques petites douceurs à déguster selon votre envie. 

Ce blog sera en pause pour une durée indéterminée.


Dédé © Décembre 2022

vendredi 2 décembre 2022

Sa Majesté

 

Seul face au monde, altier, déterminé, il trônait, certes un peu altéré par l'été caniculaire enfin terminé.

Et dans la splendeur d'une fin de journée où toutes les teintes s'atténuaient, Sa Majesté le Cervin nous murmurait: 

"Voyez, je tiens, je suis là, j'existe encore et toujours".

Face à cette vérité, on ne pouvait que s'incliner devant tant de pugnacité, et prendre ces mots comme une leçon bien assénée.


Dédé © Décembre 2022