vendredi 24 novembre 2023

Résilience

 

La vague

Rendre presque ordinaire un licenciement, voilà une tendance managériale qui s'impose peu à peu dans nombre d'entreprises mais également dans les services de ressources humaines qui n'ont franchement presque plus rien d'"humain". En tant que citoyen engagé et éclairé, il serait pourtant nécessaire d'éclairer les mécanismes sous-jacents qui tendent à rendre usuelles les ruptures professionnelles et de réinterroger l’idée de plus en plus répandue du licenciement comme fatalité ou événement banal. Dépeint souvent comme une nécessité économique par les acteurs politiques et économiques, le changement d’emploi serait désormais une étape commune, possible voire inexorable ou même souhaitable dans nos carrières professionnelles. D'ailleurs, ne prévient-on pas les futurs salariés de demain qu'ils changeront plusieurs fois d'emploi durant leur carrière professionnelle et que c'est tout à fait normal? Mais que se passe-t-il réellement sur le marché du travail?

Les représentations communes du travailleur peu qualifié occupant des postes subalternes et à forte pénibilité physique ou morale, dans des structures menacées par des restructurations s'effritent car de plus en plus souvent, les licenciements s’étendent maintenant à une plus grande variété de catégories sociales de travailleurs. On passe de licenciements massifs, dus à des causes exogènes aux entreprises (conséquence de crises ou évolution de l’économie mondialisée) à des réorganisations endogènes, propres au fonctionnement du monde de l'entreprise. Ainsi, de collectifs et massifs, les licenciements s'individualisent et toutes les catégories de travailleur sont impactées, du moins formé au plus qualifié.

De plus, en analysant attentivement les mesures d’accompagnement des plans sociaux, on découvre que bien souvent l'accent est davantage mis sur la sécurisation des parcours professionnels que sur la sauvegarde de l'emploi. Une gestion en aval vient alors compenser les effets délétères des licenciements économiques plutôt que d'interroger leurs causes et leurs natures réelles. On s'intéresse donc plus aux capacités de l'employé à rebondir et à prendre lui-même en charge son employabilité plutôt que de chercher à comprendre que celle-ci est bien plus la conséquence des conjonctures de l'emploi plutôt que de sa seule manière de gérer sa carrière. On surinvestit en quelque sorte le chômeur, quitte à le rendre presque l'unique responsable de son échec professionnel. 

Pire encore, on licencie de plus en plus dans des entreprises affichant pourtant une bonne santé économique. Ainsi, pour justifier du bien-fondé de leur décision de licencier, les dirigeants insistent sur son caractère contraignant, exogène (s’imposant à eux de l’extérieur) et économique, alors même que leur structure ne rencontre aucun problème. Et pour les responsables des ressources humaines, sorte de courroie de transmission des discours de l’entreprise, l’art de licencier est devenu un outil de gestion comme un autre dans lequel l'empathie est totalement absente. 

Les vendeurs de coaching en tous genres, marchands de transition professionnelle et autres bien-pensants du monde du travail s'appuient avec conviction sur un socle idéologique et rhétorique bien huilé, faisant du chômage une fatalité, voire un horizon souhaitable. On pousse alors le travailleur ébranlé à se dépasser, à entamer une reconversion, à revoir ses valeurs de travail et ses idéaux de vie, quitte à occulter ses souffrances et ses questionnements. Certes, il est important d'offrir des pistes d'action et une aide à cette catégorie de la population éprouvée et en perte de confiance mais il n'en reste pas moins qu'un licenciement n'a rien de banal et demeure traumatisant pour nombre de travailleurs. C'est un déclassement social avec la perte d'une communauté de travail, d'une identité professionnelle et d'entreprise mais également un échec individuel provoquant une baisse d'estime de soi. Certes, on peut admettre qu'un licenciement peut être une décision inévitable dans certains cas (employé qui ne remplit pas les objectifs fixés, faute professionnele etc.) mais il y a l'art et la manière de faire les choses.

2023 aura été pour moi une nouvelle épreuve professionnelle après celle de 2017. Après avoir subi de nombreuses pressions maltraitantes, suivies d'une obligation de baisser mon taux d'activité de 30% sous couvert de raisons économiques certes objectivables en partie mais pas totalement, le licenciement a été la cerise sur une situation déjà bien alambiquée.

Non, un licenciement n'est pas qu'une étape transitoire. Cela a été pour moi avant tout une désillusion cinglante face à un monde du travail de plus en plus déshumanisé, incapable de prendre ses distances avec des managers toxiques et/ou incompétents faisant régner un climat nauséabond au quotidien. 

Aujourd'hui, résiliente, je referme cette porte la tête haute en me dirigeant vers une nouvelle opportunité. Mais les réflexions énoncées plus haut seront au coeur de ma nouvelle activité professionnelle. J'ose alors espérer que je resterai attachée à mes valeurs et à considérer encore et toujours chaque personne que j'accompagnerai comme un individu de  coeur, ancré dans une réalité familiale et sociale, et non comme un vulgaire pion sur l'échiquier du monde du travail.

La résilience, oui mais pas à n'importe quel prix! Car être résilient ne devrait pas s'interdire de déconstruire encore et toujours les inégalités structurelles en cours sur le premier marché du travail et dans d'autres domaines de notre société.

Cette humanité ne peut décidément pas être déshumanisée en toute impunité. 


P.S.: Je remercie toutes les personnes qui passent ici et qui mettent un commentaire de le signer dans la mesure du possible afin que je ne me retrouve pas avec des anonymes que je ne reconnais pas malgré tous mes efforts. 


Dédé@Novembre 2023

vendredi 10 novembre 2023

Dolce Vita

 


A l'ombre des Alpes déjà blanchies par les premières neiges, les collines parsemées de vignes et de châtaigniers se prélassaient sous les doux rayons du soleil. Les grappes de raisin avaient été récoltées quelques semaines auparavant, promesse de vin capiteux, et ne subsistaient sur les vieux ceps tordus que quelques grains oubliés et rabougris.

Les vendanges étaient terminées et les domaines se reposaient après ces moments d'intense labeur. On n'entendait plus que le vent qui agitait les feuilles, quelques pépiements d'oiseaux qui nous observaient sur le chemin et ce presque silence préparait déjà l'hiver. La brume qui descendait sur la plaine au loin donnait en effet un avant-goût de cette prochaine saison recueuillie durant laquelle la nature se reposerait après avoir offert tous ces fruits.

J'aimais ces Langhe, patrie du Barolo et du Nebiolo, vins mythiques qui ont fait la renommée de la région. Entre collines et montagnes, dans des villages fiers juchés sur des promontoires comme des sentinelles, tantôt les vignobles, tantôt le Mont Viso, le coeur respirait librement. 

Sur cette terre si tranquille, toute l'horreur du monde semblait avoir disparu et ces Italiens, endimanchés et joyeux, réunis pour célébrer l'apéritif sous les arcades d'une vieille bâtisse au milieu du village, nous ont enseigné une nouvelle fois la dolce vita et la beauté d'une humanité qu'il faut savoir encore et toujours dénicher. 

Dédé@Novembre 2023