Pendant des jours et des jours,
j’ai attendu, enfouie sous la terre, un peu timide et surtout craintive de
sortir au grand air. Et si le vent m’emportait d’un coup ? Et si la pluie
me terrassait de ses gouttes parfois un peu lourdes ? Et si le soleil me
brûlait les pétales de ses rayons trop impatients ?
Et puis un jour, j’ai entendu que
là-haut, à la surface, le temps était magnifique et que tout était prêt à
m’accueillir. Mes camarades de printemps m’ont conté le chant joyeux des
oiseaux espiègles, les arbres prêts à me protéger des bourrasques du vent
printanier et les insectes amoureux dansant dans les airs.
Prenant alors une grande
respiration, j’ai poussé de toutes mes forces pour sortir de terre. Il m’a
fallu ensuite quelques jours pour oser respirer à plein poumons et j’ai déployé
enfin mes pétales colorés. Lissant ma robe toute neuve, j’ai regardé autour de
moi et j’ai contemplé, un peu effrayée, le grand monde. Il faisait déjà chaud
et j’ai éclaté de mille feux dans les doux rayons de l’astre du jour, s’étirant
au-dessus de moi.
Regardant de tous côtés, j’ai vu
des êtres humains pressés qui ne m’ont pas jeté un seul coup d’œil. Alors j’ai
tenté de les amadouer, lustrant encore plus la corolle de ma robe et prenant
différentes poses aguicheuses. Et, lorsque plusieurs enfants se sont penchés
au-dessus de moi et que j’ai entendu leurs exclamations de ravissement, je me
suis sentie belle, tout simplement. J’avoue que j’ai eu peur qu’ils m’arrachent
de ma terre nourricière mais ils n’en ont rien fait, leurs mamans les tirant
par la main pour les emmener plus loin.
J’ai craint aussi les animaux
poilus, comme ces chiens un peu orgueilleux qui ont la fâcheuse tendance à
lever la patte un peu partout. Alors
j’ai hurlé pour les effrayer et ils sont repartis, la truffe à terre, cherchant
un autre endroit plus tranquille.
Un jour, un journal, balloté par
le vent, est venu se poser quelques minutes à la hauteur de mes yeux et les
titres que j’y ai lus ont fait frissonner mes feuilles et m’ont rendue très
triste pour de longues heures.
Comment l’être humain peut-il être
aussi sauvage alors que la terre est si belle ? Je n’ai rien compris à ce
que j’ai déchiffré et les gouttes de rosée du matin se sont mêlées à mes larmes
de désespoir.
Puis, réfléchissant intensément,
j’ai tendu mon pistil et je me suis mise à chanter une douce mélopée. Mes
amies, non loin de là, ont alors repris en bouquet cette mélodie. Et les
oiseaux perchés dans les arbres ont entendu notre petit concert et nous ont
accompagnées de tout leur coeur. C’est ainsi que l’air du bonheur est sorti des
entrailles de la terre pour se poser délicatement sur les nuages et parcourir
la totalité de l’univers, poussé par le vent.
Bien loin de là, dans les
décombres d’une maison détruite par des combats incessants, une petite fille a
relevé la tête et a écouté de longues minutes ce doux chant qu’elle n’avait
jamais entendu auparavant. Concentrée, elle a séché ses larmes du revers de la
main et a soulevé un lourd caillou pour y découvrir une minuscule fleurette.
C’était elle qui chantonnait, se balançant à droite puis à gauche, comme si
elle dansait dans le vent. Cela a duré longtemps et les paroles de la ritournelle
racontaient la valse de fleurs magiques et l’espoir fougueux faisant vaciller
les armes des humains.
Le lendemain matin, l’enfant,
après une nuit peuplée de cauchemars, a ouvert les yeux. Sortant dans la rue,
elle a découvert, étonnée, un parterre fleuri, embaumant l’atmosphère de mille
parfums enivrants. Se baissant lentement, elle a cueilli délicatement une fleur
timide qui a rosi de plaisir d’être ainsi choisie.
La petite fleur, arrachée de
terre tout là-bas sous les bombes, n’a jamais cessé de fleurir, durant toutes
ces années et elle psalmodie encore aujourd’hui la mélodie du bonheur. Quant à
la fillette, elle a grandi et s’est installée avec les membres de sa famille
dans un pays paisible, après un parcours migratoire éprouvant. Devenue femme,
elle crée à présent des bouquets de bonheur dans sa petite échoppe.
L’Amour est fragile, comme une
fleur qui sort de terre. Ne l’oubliez jamais.
Dédé © Avril 2017