Il règne un grand silence dans la forêt que je traverse, à peine troublé par le vent dans les branchages. J’aperçois quelques oiseaux picorant sous les grands arbres et s’amusant avec les ombres projetées au sol. A mon approche, ils s’enfuient en pépiant, dérangés dans leur jeu mystérieux.
De rares petites fleurs se prélassent encore au soleil, conscientes qu’il sera bientôt temps de courber la tête aux premiers frimas et de disparaître à jamais. Soudain surgit un écureuil, les pattes chargées des trésors du jour. Il s’arrête un bref instant devant moi, me jauge avec curiosité puis, les moustaches frémissantes, il reprend son labeur en me jetant un dernier regard espiègle. Je jurerai qu’il m’a fait un clin d’œil avant de bondir derrière le talus, sa superbe queue touffue reluisant un court instant dans un rayon de soleil.
Respirant à plein poumons cet air vivifiant, j’observe avec ravissement les montagnes formant une barrière majestueuse au loin. Déjà saupoudrés des premières neiges, elles m’invitent à profiter encore de cette quiétude qui sera bientôt recouverte d’un blanc linceul.
Soudain, je sens que ma jambe est retenue par quelque chose qui me tiraille. Je baisse furtivement les yeux, pensant être accrochée à quelques piquantes brindilles qui parsèment le chemin de-ci de-là. Je reprends ensuite ma marche, décidée à rejoindre le plateau qui se love derrières ces sous-bois. Mais, une nouvelle fois, mon pas est gêné par une pression sur ma cheville. M’arrêtant encore, je ne distingue aucune herbe épineuse qui aurait pu me freiner dans mon élan et étonnée, j’essaie de trouver une explication rationnelle à ce phénomène. Mais aucune déduction plausible ne se présente à mon esprit. A ce moment précis retentit un petit air siffloté, martelé avec gaité.
Devant moi, un arbre qui me semblait quelques minutes auparavant encore vert change peu à peu de couleur sous mes yeux écarquillés. Ses feuilles devenues d’un or flamboyant projettent des paillettes en tous sens. Un peu plus loin, c’est un mélèze qui scintille de mille feux entre les sapins jaloux d’un si bel apparat. Je retiens mon souffle car ce qui se passe devant moi relève d’un spectacle de magie. En effet, au fur et à mesure de mon avancée sur le petit sentier, les feuillus se transforment, changeant de couleurs, dansant dans une symphonie dorée, comme si une main invisible les transformait en torches ardentes.
Et c’est une polyphonie d’oriflammes qui m’enveloppe peu à peu, les arbres remuant imperceptiblement sur leurs racines comme si une force mystérieuse les secouait doucement. Le petit air siffloté joyeusement s’amplifie alors et la forêt entière se met à battre la mesure, les troncs tanguant et les pives au bout des branches de sapins virevoltant dans le vent. J’entrevois devant un tas de bois fraîchement coupé le petit écureuil facétieux, frappant la terre de la patte droite pour donner le tempo. Un cerf se cache à peine derrière un chêne centenaire, les bois occupés par de minuscules mésanges chantonnant. Heureux de cette animation, les champignons sortent de l’ombre et de leur humidité et entament une petite musette, faisant tournoyer leur chapeau et riant aux éclats. Et tandis que la fanfare de la forêt suit avec entrain sa partition, les arbres poursuivent leur métamorphose.
Alors que mes yeux s’émerveillent de ce spectacle inédit, j’aperçois un chapeau vert et pointu dodelinant entre les hautes herbes. Mais lorsque je tente de m’approcher de cette apparition, un rire étouffé retentit et l’étrange créature que je distingue à peine dans la pénombre des feuillages s’enfuit dans une gerbe de poussière ambrée. Je presse mon allure pour la rattraper mais le chapeau semble me narguer, se dandinant entre les troncs et à son passage, les arbres se penchent, agitant leurs branches et se couvrant de pépites jaunes et rouges. Soudain, la forêt s’élargit pour s’ouvrir sur une vaste clairière. Persuadée que je vais enfin coincer le bonhomme au chapeau dans ce paysage plus aéré, j’accélère le pas. Mais le soleil m’éblouit brusquement et je me retrouve projetée à terre. Alors que les cymbales de la fanfare sylvestre annoncent la coda de la symphonie automnale, comme si elles se moquaient de moi, je reprends lentement mes esprits, déçue de ne pas être arrivée à mes fins. Tristement, je rebrousse chemin, sans avoir pu attraper le petit être mystérieux.
Le lendemain, assise dans mon fauteuil et perdue dans mes pensées, je me demande si l’épisode du jour précédent était réel ou simplement le fruit de mon imagination. C’est alors que s’élève le même petit air entendu la veille. Me levant très vite et retenant ma respiration, j’aperçois sur la table du salon quelques feuilles dorées posées délicatement sur un lit de mousse odorante. Un éclat de rire résonne. Me retournant en tous sens, je n’ai que le temps de distinguer un chapeau vert et pointu disparaître dans le conduit de la cheminée tandis que quelques feuilles voltigent encore dans l’âtre vide.
C’est alors que me revient le souvenir d’un conte que me lisait ma tendre Maman. Il y était question d’un petit magicien bedonnant, coiffé d’un chapeau vert et pointu, qui parcourait la forêt l’automne venu. Touchant du bout de son doigt magique l’écorce rugueuse des arbres, il transformait la sylve en un tableau majestueux et mordoré. On l’appelait « l’allumeur d’arbres » et seuls celles et ceux qui avaient gardé un cœur d’enfant pouvaient furtivement l’apercevoir dans les bois.
Une poussière d’or est restée longtemps en suspension dans mon cœur et dans la cheminée.
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P.S. Ce conte est dédié à ma chère Tilia, qui, j'en suis sûre, a dû rencontrer le petit bonhomme bedonnant lors de ses cueillettes de champignons.
Et merci à Robert qui m'a inspiré ce texte. Ses photos automnales sont un enchantement.
Dédé © Octobre 2017