Le chemin s’enfonçait dans une forêt profonde et il y régnait une atmosphère mystérieuse, peut-être à cause du silence opaque, des troncs noueux des chênes recouverts en partie de mousse et des fougères qui émergeaient entre les pierres. Puis, au détour du sentier, les ruines d’une abbaye franciscaine surgirent, témoins d’un passé lointain, comme une réminiscence d’un temps où les légendes celtes s’entrelaçaient aux mystères célébrés par les moines. Derrière elles s’étirait un lac d’un bleu si bleu qu’on avait l’impression que le ciel s’y était baigné trop longtemps et qu’il y avait laissé un peu de son manteau azuré.
La tour de l’église s’élançait à
l’assaut des cieux, encerclée d’un cimetière de croix celtiques, toujours
debout, altières et pourtant rongées par le temps. Dans un dédale de salles
vides mais encore empreintes d’une histoire oubliée, on se perdait, caressant
les murs pour entendre les chants religieux psalmodiées au fil du temps.
Et dans l’enfilade des pièces apparut un magnifique cloître, à la fois silencieux
et bruissant des murmures de prières circulant toujours entre les colonnes
massives.
Au centre de cette galerie trônait fièrement un if hors d’âge avec son
tronc torsadé. De sa voix profonde, il chantait les montagnes boisées, les
îlots rocheux et les falaises abruptes, éclairé par un rayon céleste qui
déchirait les nuages, comme une invitation à entrer en relation avec le divin.
Il y a des lieux ainsi où le temps semble s’être arrêté, où les pierres
recouvertes de lichen chuchotent des histoires d’artistes au travail sur de
précieux manuscrits et où les croix dansent doucement, mêlant leurs litanies aux
mélodies des oiseaux.
Déambulant seule dans ce cloître presque endormi, vibrante d’émotion
devant cet if qui jaillissait entre les pierres, j’ai senti soudain un souffle soulevant
quelques poussières et embrassant avec tendresse le vieil arbre. Le plain-chant
des moines disparus s’est mêlé à de suaves voix, célébrant en chœur cette verte
Irlande. Et là-bas, au-delà de la porte, au-delà de ce monde que je croyais
réel, a surgi une silhouette, virevoltant et riant à la fois. Quand je me suis
précipitée pour la rattraper, elle avait déjà disparu, laissant derrière elle
une traînée d’étoiles étincelantes.
Dans les ruines d’une abbaye lovée dans la forêt, tu m’as retrouvée,
les yeux brillant d’une joie tout enfantine, serrant dans ma main des fragments
de la voute céleste. Et nous avons couru entre les colonnes, parsemant les pierres
de notre amour indéfectible.
Dédé © Septembre 2018