La face nord de l’Eiger, un nom mythique pour tout alpiniste.
De la base de la paroi jusqu'à son sommet culminant à 3970 mètres, son dénivelé ne compte pas moins de 1600 mètres. Nombreuses sont les voies qui y mènent aux doux noms poétiques alors que c’est souvent l’enfer qui accueille les alpinistes intrépides : « Le chant du cygne », « Yéti », « Symphonie de la liberté ».
« Brusquement, nous débouchons sur l’arête de Mittelgi que le brouillard nous cachait. Cette fois-ci c’est vrai. Nous avons vaincu l’Eigerwand. Nulle émotion violente ne m’étreint : ni l’orgueil d’avoir réalisé un exploit envié, ni la joie d’achever une tâche difficile. Sur cette arête perdue dans le brouillard, je ne suis plus qu’une bête fatiguée que la faim tenaille. J’éprouve seulement la satisfaction animale de sentir que je viens de sauver ma peau ». C’est ainsi que Lionel Terray décrit cette ascension dantesque en juillet 1947 dans son livre magnifique « Les Conquérants de l’Inutile ».
S’il fallait ne retenir qu’une ascension de ce géant tourné au Nord, ce serait peut-être cette cordée française, Lachenal-Terray, après celle de l’Allemand Heckmair et ses équipiers qui avait rendu le Führer si fier en 1938. Là, pas de premier de cordée, pas de second, la cordée est une, à la fois tranquille et impulsive, comme les caractères des deux alpinistes.
Aujourd’hui, je retrouve cette photo, datant d’octobre 2019. L’Eiger me fera toujours le même effet, une sorte de peur mêlée de respect. Mais une montagne reste une montagne. On peut décider de l’escalader ou non. On peut rester à ses pieds, admiratif et conscient de sa beauté. Et ce n’est pas parce qu’on ne l’escalade pas qu’on n’est pas un excellent alpiniste. Car les obstacles dans nos vies sont légion à surmonter, à passer pour mieux repartir sur l’autre versant. Vivre aujourd’hui, conscient de notre petitesse, de notre passage éphémère sur cette terre, solidaire avec ceux qui souffrent, sachant qu’on a ses limites, c’est déjà en soi une sorte de prouesse. Et si aujourd’hui, notre exploit était donc de vivre, sans céder à la peur, en s’adaptant au contexte actuel, en étant un grimpeur émérite, les yeux levés vers le sommet, remplis d’espérance ?
Ce jour-là, sur le petit sentier panoramique, c’est aux alpinistes chevronnées que j’ai pensés, dont mon Papa. Mais aussi à toutes celles et ceux qui, chaque jour, vainquent des sommets dont on ne parlera sans doute jamais mais qui les feront grandir dans leur humanité. Alors je t’ai suivi, allègrement, bien au-dessus des turpitudes terrestres. Et j’ai décidé, en souriant, que le petit chemin suffirait. La face Nord de l’Eiger pouvait encore attendre…
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Ce texte est dédié à Candide (il se reconnaîtra). Mon cher, il suffit parfois de parcourir simplement le petit sentier pour être heureux.
Dédé © Octobre 2020