Cervin: En souvenir d'une belle journée
Lorsque nous sommes jeunes, nous
nous comportons souvent comme des êtres immortels, sur lesquels le temps n’a
aucune emprise. Les secondes et les minutes s’écoulent, joyeuses souvent,
tristes parfois et les heures galopantes ne nous enserrent pas encore dans la
condition d’être mortel. Cette sensation d’être une créature finie qui
s’éteindra un jour n’est que lointaine. Elle flotte, éthérée, tout autour de
nous, sans que nous puissions l’enfermer dans nos mains papillonnantes et nos
âmes vagabondes.
Et puis un jour, cette finitude
nous rattrape d’un coup, sans que l’on s’y attende et nous étrangle avec force,
comme pour nous empêcher de respirer et de reprendre nos esprits.
Quand cela se passe-t-il ?
Quand est-ce que le labyrinthe du temps nous rend fou et nous fait perdre la
direction du bonheur éternel ?
A force d’évoluer dans un monde
que je considère souvent comme un univers de non-sens, où il devient de plus en
plus difficile de se développer sans heurts, j’en viens à me dire qu’il y a
urgence.
Il y a urgence de ne rien
regretter, de s’échapper de ce carcan dans lequel on finit par tomber par
conformisme, de tordre le cou à cette fainéantise qui nous ralentit sans cesse.
La société qui nous entoure nous conduit
sur des chemins de vitesse et de galopades insensées. Mais j’aspire, aujourd’hui,
au silence, à la lenteur et à la volupté : ici ou là-bas, ailleurs et
partout. Je n’ai plus l’envie de prouver qui je suis à tous ces autres, juste
le désir d’être enfin moi-même.
J’ai soif de poursuivre mes
lectures afin de nourrir mon esprit, de tendre l’oreille à toutes les musiques,
de poser mes yeux sur les montagnes et les mers. Je rêve encore de steppes
lointaines, de villages colorés plongeant dans l’océan, de sommets
infranchissables. Je brûle de me consumer à des soleils différents.
Voilà où est l’urgence, se
prouver à soi-même qu’on existe et apprendre à respirer profondément dans ce
monde où tout s’étiole, ceci avant que notre ombre ne recouvre l’entier du
chemin et nous précipite dans le gouffre du néant. Il n’est pas question de
mourir d’épuisement et de lassitude, de se laisser partir par désœuvrement
quand on est déjà ouvert à tous les ravages.
C’est le moment de rattraper le
temps que nous avons laissé filer entre nos doigts gourds et qui nous rend
triste parce qu’il est passé et qu’on n’a fait que le subir, sans le remplir de
chansons et de murmures joyeux.
Si un jour je trébuche et que
tout devient flou, j’espère que mes souvenirs colorieront mes journées.
Et toi, tu me serreras contre toi en me comptant toutes les bêtises que nous avons faites
dans notre vie, afin que nos rires repoussent les affres du vide. Et nous
continuerons, main dans la main, jusqu’où le monde s’arrête et où commence
l’éternité.
Dédé © Octobre 2016