vendredi 2 avril 2021

Paris, Pitchoune et B.

 

(Photo prise en 2008 à travers une vitre, la qualité n'est pas la meilleure mais c'est un très bon souvenir)

 
« Ma mie, un mot car je ne puis rester silencieux plus longtemps. Et pourtant, tu es la dernière à qui j'ai envie d'écrire… »

Ainsi commençait sa dernière missive qui m’apprenait le mal incurable dont il souffrait. A cette lecture, à la fin de l’été dernier, la tristesse m’a envahie pour ne plus vraiment me quitter chaque fois que je pensais à lui et à ce que nous avions vécu.
 
Je l’avais rencontré sur les blogs en 2006. Mais peut-on parler d’une rencontre quand on ne voit pas le visage de l’autre, quand on n’entend pas son rire, quand on ne voit pas ses yeux ? Et pourtant, ce fut le cas, une découverte mutuelle d’abord virtuelle par des échanges sur nos blogs respectifs, ensuite dans des courriels très réguliers, puis s’ancrant enfin dans la vraie réalité un jour de mars 2008 où Paris était bien gris et froid. J’avais décidé, à cette période, de prendre un peu le large le temps de quelques jours et j’étais, comme on dit, « montée à Paris ». Sur le quai de la gare de Lyon, l’expert en instruments scientifiques et antiquités de marine m’attendait, le sourire accroché aux lèvres, confiant dans cette rencontre et dans tout ce que nous allions vivre par la suite. Depuis ce printemps-là, je venais lui rendre visite une à deux fois par année dans la Ville des Lumières. Toujours à l’écoute, il savait presque tout de ma vie. Même si je ne lui disais pas toutes les épreuves, il les devinait et avait toujours un conseil bienveillant à me prodiguer. Espiègle, il riait aussi à mes déboires et me disait souvent que ma vie pouvait être matière à écrire un roman.

Que de bon temps passé dans les petits troquets de Paris, dans des brasseries prestigieuses, dans la rhumerie, dans le restaurant de la Tour Montparnasse, à trinquer peut-être plus que de raison mais à refaire le monde de bien des façons. Il aimait le vin, la bonne chère, les oreilles de cochon, le pâté en croûte et le chocolat suisse dont j’étais devenue sa principale fournisseuse. Il fumait d’abominables cigarillos dont les mégots envahissaient le cendrier de sa voiture. Son magasin d’antiquités était une caverne d’Ali Baba et quand j’en poussais la porte, je me surprenais à caresser la proue de la maquette d’un trois-mâts datant du 18ème siècle qu’il allait vendre bientôt à un passionné pour quelques milliers d’euros. Moi la montagnarde, j’avais découvert grâce à lui Marin-Marie qu’il me contait avec passion. J’en avais d’ailleurs presque le mal de mer ou alors était-ce à cause du rosé que nous buvions avec passion à l'apéro, à l'arrière de son magasin.
 
Il aimait Paris et il adorait la mer et il n’était jamais aussi heureux que lorsqu’il descendait dans le Sud retrouver son petit bateau à Cassis. Il me parlait alors avec délice des plats d’huitres et du vin blanc qui les accompagnait et de ses nombreux copains avec qui il aimait assister aux couchers du soleil sur la Grande Bleue.

A chacune de mes visites, il me concoctait un programme divers et varié, souvent agrémenté d’une visite de musées et toujours une bonne table à laquelle on s’éternisait. Nous avons traversé les jardins de Giverny, arpenté les quais de la Seine, parcouru le parc des Buttes-Chaumont (« il te faut quand même des montagnes » m’avait-il dit lors de cette visite), salué Rodin, Picasso et Van Gogh, vogué sur une péniche et ri comme des fous devant la bêtise du monde. Le lendemain du 13 novembre 2015, il m’envoyait pourtant un message pour me demander si j’étais encore vivante. Nous venions de nous quitter le jour d’avant après avoir visité l’institut du monde arabe et célébré la vie en dégustant un excellent vin algérien et un délicieux couscous. Je lui avais alors répondu ma peur de m’être trouvée au cœur des tristes événements et que je ne reviendrai plus à Paris. Et là, dans un éclat de rire, teinté d’un sérieux contenu, il m’avait écrit : « C’est ce que veut Daech. Reviens vite pour montrer que les Suissesses n’ont peur de rien ».

Il veillait sur moi à distance, comme il aimait à le dire et lorsque nous nous retrouvions à Paris, c’était comme si on ne s’était jamais quittés. Heureux, il l’avait été quand je lui avais annoncé le virage bénéfique opéré dans ma vie, mon installation dans les montagnes et une existence plus sereine là-haut, bien accompagnée. « Pitchoune, tu redeviens Heidi », avait-il déclaré.

J’ai appris tout dernièrement son décès et cette nouvelle me rend infiniment triste. Pourtant, confusément, je sais qu’il continue à veiller sur moi, comme il l’a toujours fait. Juste que la distance est encore plus grande que d’habitude ou alors peut-être bien plus courte car il restera à jamais là, au fond de mon cœur. Et quoi de plus normal que je lui rende hommage sur ce blog, puisque c’est de cette façon-là que nous nous sommes rencontrés en 2006.

Merci pour tous ces beaux souvenirs qui tapissent à jamais le fond de mon cœur. Je te souhaite mon cher B., de voguer dorénavant sereinement sur ton petit bateau coloré, dans les embruns de la mer que tu aimais tant. Et promis, quand je reviendrai à Paris, nous irons boire avec P. un rhum à ta santé.


(Marin-Marie, "Voilier au large des côtes rocheuses")

P.S. C'est avec ce billet que je vous laisse quelques temps. Prenez soin de vous et à bientôt. Belles fêtes de Pâques à chacune et chacun.

 Dédé © Avril 2021