vendredi 19 juin 2020

Carte postale


Alors que le jour précédent, le foehn, descendu des montagnes environnantes, soulevait avec rage les vagues qui s’écrasaient sur la coque des navires, le bateau semblait glisser tranquillement ce matin, sans peine aucune, sur la nappe bleue. Pourtant, des orages étaient annoncés dès la fin de l’après-midi et le lac des Quatre-Cantons peut être traître, presque aussi fougueux qu’une mer déchaînée, lorsque les dieux sont en colère.

Rien n’annonçait ce déferlement de pluie et les nuages au loin ne semblaient guère menaçants. Quelques badauds déambulaient, goûtant avec bonheur à la liberté retrouvée. Une douce atmosphère régnait, baignant la scène d’une touche de légèreté enchanteresse.

Une question me taraudait pourtant l’esprit : comment un paysage peut-il être aussi bleu ? Est-ce que le peintre de la nature avait oublié une partie de sa palette dans un autre coin de l’univers, peut-être dans le désert du Namib où les dunes sont rouges, tellement rouges qu’on se croit en enfer ?  Ici, même les montagnes environnantes se paraient d’azur et quand on fermait un instant les yeux, on avait l’impression de plonger dans un tableau monochrome. Seul le drapeau flottant fièrement à l’arrière du bateau tranchait avec le bleu céruléen de l’ensemble. Et toi, tu te fondais à merveille dans les teintes dominantes du décor avec tes yeux gris-bleu mais aussi verts parfois, étincelants comme les pépites d’eau jaillissant à la surface du lac après le passage du fin navire.

Tout était romantique, ta main dans la mienne, la danse gracieuse du cygne et le souffle léger du vent caressant la nappe d’eau.  Et ce mariage unique entre la lumière, le temps, le lac et les montagnes laissait présager de tendres retrouvailles la nuit venue.  

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C'est avec cette carte postale typique de la Suisse que je vous laisse pour un temps indéterminé. Une pause s'impose dans le rythme de mes publications mais je viendrai vous voir de temps en temps. Belle suite à vous et prenez bien soin de vous. Salutations également de Bluette.

Dédé © Juin 2020

vendredi 5 juin 2020

La vieille dame et les roses




Je l’ai vue arriver sur le petit chemin qui traversait l’esplanade. Menue dans ses habits élégants qu’elle avait pris soin de choisir avant de sortir, elle avançait lentement, ses vieilles jambes n’étant plus guère vaillantes. Elle regardait fixement devant elle, comme si tout ce qui l’entourait de part et d’autre ne l’intéressait pas, comme si seule sa destination comptait.

Son visage était traversé de mille rides, autant d’histoires qui avait ponctué sa vie, heureuses ou tristes. Dernièrement, une nouvelle ligne de vie s’était rajoutée lorsque son tendre l’avait quittée, emporté par la maladie dont tout le monde parlait. Elle n’avait pas voulu lire tout ce que les journaux racontaient sur ce fléau. Seuls importaient son chagrin et l’absence qui la tenaillaient au ventre depuis cette triste journée où elle l’avait embrassé sur le front pour la dernière fois.

Pourtant, depuis quelques jours, un doux baume avait apaisé quelque peu sa pénible solitude.

Il avait toujours aimé les roses, les rouges, les blanches, les jaunes, celles à courte tige, celles à longue tige. D’ailleurs, une rose blanche ornait sa boutonnière la première fois qu’il l’avait invitée à danser, au mois de mai il y a bien longtemps, alors qu’elle n’était alors qu’une toute jeune fille timide. Il disait qu’elles étaient comme des cadeaux célestes que Dieu avait laissé tomber sur terre. Et chaque année à leur floraison, près de ces massifs luxuriants, ils s’asseyaient sur le vieux banc pour contempler les pétales immaculés, alors que les merles chantaient l’amour au-dessus de leur tête dans le cèdre centenaire.

Ce jour-là, je l’ai croisée. Elle marchait lentement, avançant inexorablement vers son destin. Ce jour-là, elle s’est assise seule devant les fleurs interrogatives et je sus que ce serait pour elle la dernière floraison quand je vis les larmes envahir son doux visage de vieille dame, dans ce contre-jour du mois de mai.

Ce dont je suis sûre, c’est que quand on aime pour la vie, on ne peut que se retrouver à deux sur un doux parterre de fleurs parfumées et cela pour l’éternité. 



Nota Bene: Je ne connais pas cette vieille dame, je l'ai saisie sur le vif avec mon appareil durant une sortie de "street photography". Elle m'a inspirée cette histoire, en hommage à toutes celles et ceux qui ont perdu un être cher durant cette pandémie.