Sillonnant les rues de nos villes
et de nos villages, j’ai rencontré des gens pressés, les bras chargés de
paquets et le visage fatigué. Les décorations dans les magasins et sur les
sapins et l’étalage de jouets tous plus futiles les uns que les autres m’ont
aveuglée plus d’une fois. A plusieurs reprises, je me suis fait bousculer par
un Père Noël rondouillet mais ce n’était jamais le même. Et j’ai fini par
courir comme les autres, prise par les angoisses de trouver quelque chose
d’original à mettre sous le sapin et par la fatigue accumulée durant toute
l’année écoulée.
Envahie de vertige, voire de
dégoût devant cette société consumériste à l’extrême, j’ai voulu alors fuir
très loin et me retrouver à l’abri de toute cette folle agitation et de ce
brouhaha incessant. Je suis donc rentrée précipitamment.
En franchissant le seuil de mon appartement,
il m’a semblé que je n’étais pas seule. M’avançant sur la pointe des pieds dans
le couloir d’entrée, j’ai senti une douce odeur de biscuits qui m’a rappelé les
saveurs embaumant la cuisine de Maman lorsque j’étais enfant.
Posant doucement
mes affaires, j’ai capté ensuite les senteurs suaves des sapins de la forêt et
j’ai revu le grand arbre que Papa se chargeait, tous les Noëls venus, d’aller couper
dans les bois. Il était toujours immense et Maman le décorait d’oiseaux de
couleurs, de boules scintillantes et délicates et de chocolats, aidée dans
cette tâche par la petite fille que j’étais. Lorsque l’arbre était fini d’être
habillé par les guirlandes colorées, la crèche trouvait sa place à ses pieds et
nous finissions l’ornement festif de la maison en collant des motifs joyeux sur
les fenêtres. J’avais le cœur en fête en m’appliquant à cette responsabilité
qui m’était déléguée et mes grands frères surveillaient du coin de l’œil toute
l’opération.
Soudain, les larmes ont envahi
mes yeux à l’évocation de ces doux souvenirs d’enfance. Debout derrière la
fenêtre, j’admirais la lente valse des flocons tourbillonnant dans les airs et recouvrant
doucement le village et ses chalets de bois endormis. Il régnait un silence
ouaté permettant d’entendre la chute de chaque flocon au sol et les cris de
joie de la terre impatiente de s’emmitoufler dans son manteau scintillant.
M’avançant alors dans la pièce
principale, des chants joyeux de Noël retentirent et j’ai reconnu les voix de mes amis de
la chorale reprenant en chœur les mélodies ancestrales, à l’ombre des tuyaux
d’orgue pendant nos répétitions, celles-ci se déroulant toujours dans une
effervescence impatiente. Et ont résonné ensuite à mes oreilles les mélodies jouées
au carillon de mon ami R., trop tôt disparu. C’est comme si le clocher de mon
village, habillé de son manteau de neige, trônait en cet instant devant mes
fenêtres, ébranlé par les cloches exaltées de la veillée de Noël.
Et c’est alors que je me suis
retrouvée face à une scène merveilleuse qui m’a laissée longtemps sans voix et
n’osant respirer, de peur que les personnages magiques ne disparaissent à mon
approche:
Des farfadets de la forêt trônaient
au milieu de la pièce, entourés de petits sapins. Une grenouille verte était
même juchée sur l’épaule de l’un deux alors qu’un escargot s’accrochait à la
hotte d’un autre. A côté d’eux, un bonhomme hiver chantonnait de sa voix grave,
brandissant une guirlande de jouets en bois. Tenant une lanterne mystérieuse et
les bras chargés de paquets, un immense barbu un peu fou, coiffé d’un chapeau
vert très pointu, semblait venu de très loin, chaussé de ses longues bottes
noires. De grandes pives presque aussi
hautes que les sapins agrémentaient le décor naturel et tout ce petit monde
glissait sur un tapis de neige soyeux.
Au milieu de ce monde enjoué se
tenaient deux personnages minuscules, éclairés par une douce lumière dorée et penchés
sur un tout petit bébé dormant à poings fermés malgré les exclamations
étouffées des lutins l’entourant.
Me penchant alors sur ce tableau
extraordinaire, mon cœur s’est serré d’émotion devant cette scène magique d’où
découlait une atmosphère de rayonnante sérénité en même temps qu’une gaieté
communicative. J’ai même senti une main serrer la mienne et diffuser à travers
tout mon corps une douce chaleur revigorante, comme si toute la fatigue de
l’année disparaissait en un clin d’œil. Et pendant que le bonhomme hiver, le
grand fou barbu et les farfadets espiègles entouraient la petite crèche, des
cloches invisibles ont tintinnabulé un message de paix relayé aux quatre coins
de l’univers.
Lorsque je me suis réveillée en
sursaut, j’ai cherché des yeux les personnages mais ils avaient tous disparu.
J’ai cru alors à un songe et me suis dit que des lutins de la forêt n’avaient
rien à voir avec l’esprit de Noël et que mon subconscient me jouait des tours.
Mais en m’avançant sur le parquet, un petit paquet de neige a glissé sous mes pieds
et j’ai remarqué quelques aiguilles de sapin joncher le sol près de mon lit.
Dans ma main, je découvris également un biscuit à la cannelle, déjà mordillé
dans un coin ainsi qu’un minuscule cadeau enrobé d’un ruban doré. Fébrilement,
je l’ai déballé et j’ai découvert une délicate étoile brillante, découpée dans
un papier lumineux. Elle ressemblait à celles que patiemment je fabriquais avec
mes ciseaux et que j’offrais à Maman le temps de Noël.
La magnificence de nos
festoiements, la richesse dégoulinant dans les magasins et le tintamarre des
marchés de Noël ne signifient rien si on oublie de s’émerveiller tout au long
de l’année des choses simples qui nous entourent. Il ne sert à rien de devenir
un adulte si on perd son âme d’enfant et son imagination et qu’on oublie de
distribuer autour de soi des étoiles illuminant le chemin tortueux de nos vies.
Regardant alors les yeux plein de
larmes cette étoile lumineuse au creux de ma main, j’ai fait le vœu que chaque
enfant en reçoive une un jour et qu’elle l’éclaire tout au long de sa vie pour
lui éviter de tomber dans les ténèbres de conflits de toutes sortes, pour
l’aider à grandir dans le respect des différences et pour le faire imaginer
toujours de belles histoires afin d’embellir un quotidien souvent morne.
A toi particulièrement qui te
reconnaîtras, qui as su me faire retrouver le bonheur et m’as mis plein
d’étoiles dans les yeux ; à toute ma famille ; à mes amis proches ou
lointains, je vous souhaite de passer ces quelques jours qui nous séparent de
la nouvelle année dans la sérénité et dans la compagnie des gens que vous
aimez. Et que l’année qui s’annonce soit éclairée tous les jours de petits et
grands bonheurs malgré la dureté du monde qui nous entoure.
Le petit paquet de neige n’a
jamais fondu et j’ai gardé précieusement l’étoile sur un lit odorant d’aiguilles
de sapin.
Dédé © Décembre 2016