vendredi 30 août 2019

Terre de légendes

 Cornouailles, Angleterre

Il y a eu ce vent, parfois simple brise, d’autres fois tempête. Il nous faisait vaciller sur les chemins côtiers, charriant de sombres nuages gonflés de pluie qui prenaient un malin plaisir à déverser leur chagrin céleste juste au-dessus de nous, nous laissant complètement transis. Il y a eu aussi ce soleil espiègle, jouant avec nos nerfs à longueur de temps. Parfois, il se cachait durant de longues heures, laissant alors le froid et la brume s’installer sur les hauts plateaux habités seulement par les moutons, les vaches et les chevaux fougueux. Puis il réapparaissait goguenard, chassant à coups de rayons joyeux les dernières pluies.

Dans cette campagne verdoyante, jalonnée de champs, parsemée de grandes demeures entourées de jardins luxuriants dignes d’un tableau de Nicolas Poussin, surgissaient de petites cités, sous la protection bienveillante des flèches gothiques surmontant de somptueuses cathédrales. L’émotion était grande de contempler ces pierres usées par le temps, pourtant toujours debout, distillant des litanies de paix jusqu’au tréfonds de la campagne. Dans les nefs majestueuses résonnaient des chœurs virtuoses, emportant nos esprits trop rationnels dans des mélodies célestes. Les cloîtres, silencieux, déroulaient leurs fastueuses colonnades, dans un jeu subtil d’ombres et de lumières dans lequel on croyait encore entendre les pieuses déambulations des moines des temps jadis. Une bible enluminée, à l’abri du temps, dévoilait avec pudeur les fastes de ses écritures, source d’émerveillement artistique et spirituel pour tous ceux qui prenaient le temps de se pencher sur ses pages. Et pour compléter ce tableau mystique, la légende du Roi Arthur imprégnait encore les ruines d’une abbaye, murmurant à qui voulait bien les entendre les exploits du preux chevalier et de son épée Excalibur.

Mais ces pierres-là, celles des cathédrales, des abbayes, des églises, des châteaux et des vastes domaines, même si elles étaient d’un âge plus que respectable, n’étaient pourtant pas aussi vieilles que ces mystérieux mégalithes surgis de nulle part, au bout d’une route traversant une plaine un peu monotone. Quelle exaltation de découvrir enfin, après l’avoir tant rêvé, ce mystérieux cercle de pierres géantes dressées vers le ciel. Observatoire astronomique, sanctuaire voué au culte du soleil, lieu cérémonial où on célébrait le changement des saisons, les menhirs jouant les équilibristes depuis la nuit des temps regardaient silencieusement les visiteurs émerveillés venus du monde entier, semblant presque se moquer d’eux en gardant jalousement dans leurs entrailles tous leurs secrets. 

Dans cette terre chargée d’histoires et de légendes, un bout de mon cœur est resté accroché tout au bord de ces falaises blanches ou noires, plongeant dans l’océan. Les chemins (South West Coast Path) nous ont conduit là où la terre s’arrêtait et où commençait le monde de l’océan, qui avec ses marées faisait chavirer chaque jour le cœur des bateaux de pêcheurs lovés dans de ravissants petits ports. Sur ces plages de sable blanc où dès que le soleil dardait un minuscule rayon, les estivants enfilaient prestement leurs combinaisons pour goûter les bienfaits de la baignade, transformant ces côtes en un tableau bigarré où retentissaient les rires joyeux des enfants.

L’océan et ses parfums entêtants m’ont transportée vers un ailleurs insoupçonné, bien différent des chemins rocailleux que je parcoure dans mes Alpes. Mais c’est grâce à un cheval blanc que je suis véritablement entrée dans le pays des rêves. L’animal, dans sa robe étincelante, paissait tranquillement mais à mon approche, il a levé la tête, s’ébrouant avec lenteur. Puis il m’a conté dans une langue inconnue combien la vie est belle pour peu que l’on sache écouter le chant du vent soufflant sur les hauts plateaux et bruissant dans l’écume des vagues. Il m’a parlé des marées magiques qui inlassablement épousent les plages de sable blanc puis les délaissent et des landes désolées dans lesquelles les moutons sont rois. Il m’a aussi murmuré la joie des enfants batifolant avec leurs chiens dans la houle de l’océan et les bienfaits des averses soudaines sur les côtes déchiquetées. Puis, avec un clin d’œil, il m’a rappelé le goût d’une bière bien fraîche dans un de ces pubs typiques, où malgré la brume et la bruine balayant le port au-dehors, les habitants savent encore rire et échanger dans une allègre fraternité. Se retournant enfin, il t’a désigné de la tête en hennissant, m’encourageant à te suivre au bout du monde, sur ces sentiers qui mènent au paradis.

Et comme souvent dans ce voyage, il a disparu soudainement, happé par un rideau de pluie. Tu m’as alors saisi la main et nous avons repris notre chemin, dans le déferlement des éléments naturels. A ce moment-là, le ciel et l’océan ont pris, l’espace d’un instant, la couleur de tes yeux.  Et je m’y suis noyée.


Parc national du Dartmoor, Angleterre


Dédé © Août 2019