Quelque part ailleurs
Je suis partie. Pour un ailleurs
que je ne connaissais pas. Pour marcher et gravir des montagnes. Pour découvrir
l’Autre qui ne vit pas comme moi.
J’ai vu des hommes et des femmes
bien plus pauvres que moi mais sans doute plus riches de sourires, de gaieté,
de simplicité et de douceur de vivre. Et la musique a guidé mes pas dans
l’exploration de cet ailleurs, elle qui fait vivre et danser un peuple joyeux
et bigarré et qui transcende ses souffrances.
A mon sens, voyager, c’est
dépasser ce que le guide de voyage raconte, aller au-delà des écrits dans les
livres. C’est s’ouvrir et respirer, observer et comprendre même si, il faut le
reconnaître, je n’ai parfois rien saisi et que cela m’a conduit parfois dans
des situations inextricables.
Après mon retour, ma valise
défaite et mes quelques affaires rangées, je n’arrive pourtant pas encore à
prendre toute la mesure de ce que j’ai vécu.
La beauté des paysages, les
sourires des personnes rencontrées et leur gentillesse mais aussi leur pauvreté
m’ont remuée au plus profond de moi-même.
Je revois ce moment tout à fait
inattendu, inespéré, dans un coin de campagne, où un homme, vivant comme dans nos
temps anciens, guidait ses bêtes sur un chemin escarpé, avec la facilité d’un
sportif d’élite, alors qu’aux pieds, il n’était chaussé que de vieilles tongues
usées jusqu’à la corde. Et pendant que je suais avec mon matériel ultramoderne,
perdue dans l’immensité de la verte montagne, j’ai senti que malgré la
frontière de la langue, la rencontre se faisait à un autre niveau, celui du
langage non-verbal, dans l’expression du regard et dans l’aide simple apportée
par cet individu dans un moment clé de mon périple. En quelque sorte, je me
suis sentie foudroyée par ce décalage entre la touriste moderne qui croit
connaître un pays par la simple lecture d’une carte topographique et l’homme traversant
les temps et les montagnes, préoccupé par sa subsistance et par la volonté de
conduire ses bêtes par monts et par vaux. Et cette harmonie simplissime d’un
coin de campagne, oublié de notre modernité bien souvent décolorée et triste de
sa suffisance, m’a fait entrevoir la futilité dont se revêtent souvent nos
existences trépidantes et superficielles, complètement déconnectées de la
nature et de l’Homme.
Plus tard, alors que la fanfare
municipale, réunissant des musiciens sans doute moins formés que nos
concertistes peuplant nos conservatoires, jouant sur des instruments pas très
accordés, égrainait ses notes enjouées, je me suis dit qu’elle était
révélatrice de ce pays : volontaire, humaine, un peu fausse mais
distillant des mélodies joyeuses et relevées qui enchantaient un public heureux
de se retrouver devant le kiosque à musique.
Ces rencontres improbables,
providentielles parfois, dont je garde un souvenir lumineux, ont eu le mérite
de me faire comprendre que l’envie de parcourir les chemins de l’humanité me
traverse encore et toujours, avec ce désir profond de connaissance. Me
rapprocher du ciel, sentir la pierre sous mes doigts et sous mes pas,
rencontrer des hommes qui savent prendre le temps de vivre et qui peuvent
m’aider à forger mon esprit et mon cœur, voilà un but que je me fixe pour les
années à venir.
J’ai encore l’envie de frôler la
beauté à l’état pur et de voir des visages radieux et inconnus. Je rêve de
reprendre la route et les chemins sur lesquels mon corps harassé de fatigue,
transcendé par l’effort, libèrera ma pensée pour me conduire à l’essentiel, à
la quintessence de l’humanité : la simplicité d’un sourire, d’une
salutation et d’un geste dépassant la barrière de la langue et des frontières. La
marche me transporte, me place face à moi-même, à mes doutes et à mes peurs, à
mes contradictions. Mon esprit s’envole enfin après ces kilomètres, faisant
voler en éclat mon environnement habituel qui conditionne bien souvent mes
gestes et mes pensées et m’enferme dans une routine parfois insupportable.
Le retour m’est difficile, même
si je retrouve mes habitudes, mes amis et ma famille.
Ce voyage m’aura formée, ou
plutôt déformée, retournée, chamboulée et j’essaie depuis quelques jours de
retrouver une bouée pour revenir à mon rivage. Car je tangue encore dans les
souvenirs, aux confins des montagnes vertes et acérées et sur cette mer
houleuse qui m’a emportée dans ses roulis fougueux.
C’est bien au sommet de ces pics
rugueux et fiers et duquel mon regard s’est porté au loin et s’est sans doute
perdu que je me suis surprise à côtoyer une forme de divin.
C’est bouleversant.
Nos sociétés, imbues
d’elles-mêmes, de leur progrès technologique et économique, devraient pourtant
se souvenir que l’essentiel n’est pas dans la vitesse, dans le bruit, dans
l’éclat futile de tant de choses mais plutôt dans la lenteur, la découverte
tranquille de l’autre et surtout dans le respect de sa différence.
Le choc des civilisations
Dédé © Janvier 2017