vendredi 21 novembre 2025

Gratitude


Face à ce spectacle, on ne pouvait qu’être saisi d’émotion : être au monde, l'admirer depuis la prairie et les sapins, au-dessus du lac jusqu’aux montagnes immaculées, et s’en imprégner dans cette fin d’automne brumeuse, où la lumière hésite et le silence s’étire.

Dans cette vibration, entre le proche et le lointain, entre ce qui retient et ce qui libère, j’ai compris ce qui ne devrait jamais s’effacer : savourer l'instant, respirer, sans craindre pour sa vie, dans un pays en paix. La paix n’est pas seulement l’absence de guerre ; elle se mesure dans la possibilité de rester là, sans bruit, et d’écouter le monde se tenir droit, entier, silencieux.

Et dans ce retrait assumé, dans ma contemplation de l’horizon immobile et inébranlable, tout mon être s’est effacé pour se remplir d’une intensité pure, celle de la gratitude. Ici, il n’y avait rien à posséder, rien à craindre ; tout demeurait, offert à qui savait encore s’émerveiller.


Dédé@Novembre 2025

vendredi 7 novembre 2025

Le petit mélèze

 


Ce jour-là, je devais y retourner. L’air portait déjà l’odeur de la neige, ce parfum de silence qui précède l’effacement. Je voulais voir les mélèzes une dernière fois, les surprendre dans leur ultime sursaut, leur flamboyance avant l’oubli, leur danse d’automne, lente et fière, avant que le grand drap blanc ne tombe sur le monde.

J’ai marché longtemps le long du bisse, incapable de m’arrêter, comme tirée par une force douce et une nécessité muette. Le vallon était déserté, les randonneurs partis, les bruits effacés. Ne restait que le vent, discret, presque timide, comme s’il n’osait pas troubler le recueillement de la terre. Tout semblait suspendu, retenu dans une attente sacrée.

Et lui, au bord du chemin, se tenait là, petit encore, fragile mais déjà flamboyant, seul éclat de feu dans le paysage devenu gris. Ses aiguilles d’un orange profond accrochaient une lumière bien pâle, et les herbes ternes, les pierres froides, semblaient s’incliner devant sa noblesse. Il n’avait pas de frères proches, pas de gardiens autour de lui, mais il tenait bon, dressé dans l’air glacé, comme s’il portait en lui le courage de toute la forêt endormie.

Je me suis arrêtée devant lui, le cœur serré par une tendresse inattendue. J’aurais voulu le tenir contre moi, le protéger du froid qui montait mais ses épines dorées m’en ont empêchée. Alors, en silence, je lui ai fait une promesse : celle de revenir, lorsque la neige aurait fondu, lorsque les fleurs, timides d’abord, reviendraient colorer le vallon. Et dans ce silence plein de présages, j’ai senti qu’il me répondait. Qu’il me confiait sa propre promesse, celle de survivre, de résister aux tempêtes, aux nuits longues, pour me raconter, au printemps, tout ce que l’hiver lui aurait murmuré : les pas furtifs des chamois sur la neige dure, le souffle chaud des bouquetins au matin, les éclats du soleil sur la glace, la lente patience du monde endormi.

Je suis repartie sans me retourner, portée par une douce certitude : sous la neige et le vent, un petit mélèze bientôt nu veillerait sur le vallon. Et peut-être, dans le secret de ses racines, dans la résonance silencieuse de son bois, dans le souffle discret de ses nuits, garderait-il aussi quelque chose de moi, comme une mémoire ancienne, comme un chant oublié que seuls les arbres savent encore entendre.

Dédé@Novembre 2025