vendredi 7 novembre 2025

Le petit mélèze

 


Ce jour-là, je devais y retourner. L’air portait déjà l’odeur de la neige, ce parfum de silence qui précède l’effacement. Je voulais voir les mélèzes une dernière fois, les surprendre dans leur ultime sursaut, leur flamboyance avant l’oubli, leur danse d’automne, lente et fière, avant que le grand drap blanc ne tombe sur le monde.

J’ai marché longtemps le long du bisse, incapable de m’arrêter, comme tirée par une force douce et une nécessité muette. Le vallon était déserté, les randonneurs partis, les bruits effacés. Ne restait que le vent, discret, presque timide, comme s’il n’osait pas troubler le recueillement de la terre. Tout semblait suspendu, retenu dans une attente sacrée.

Et lui, au bord du chemin, se tenait là, petit encore, fragile mais déjà flamboyant, seul éclat de feu dans le paysage devenu gris. Ses aiguilles d’un orange profond accrochaient une lumière bien pâle, et les herbes ternes, les pierres froides, semblaient s’incliner devant sa noblesse. Il n’avait pas de frères proches, pas de gardiens autour de lui, mais il tenait bon, dressé dans l’air glacé, comme s’il portait en lui le courage de toute la forêt endormie.

Je me suis arrêtée devant lui, le cœur serré par une tendresse inattendue. J’aurais voulu le tenir contre moi, le protéger du froid qui montait mais ses épines dorées m’en ont empêchée. Alors, en silence, je lui ai fait une promesse : celle de revenir, lorsque la neige aurait fondu, lorsque les fleurs, timides d’abord, reviendraient colorer le vallon. Et dans ce silence plein de présages, j’ai senti qu’il me répondait. Qu’il me confiait sa propre promesse, celle de survivre, de résister aux tempêtes, aux nuits longues, pour me raconter, au printemps, tout ce que l’hiver lui aurait murmuré : les pas furtifs des chamois sur la neige dure, le souffle chaud des bouquetins au matin, les éclats du soleil sur la glace, la lente patience du monde endormi.

Je suis repartie sans me retourner, portée par une douce certitude : sous la neige et le vent, un petit mélèze bientôt nu veillerait sur le vallon. Et peut-être, dans le secret de ses racines, dans la résonance silencieuse de son bois, dans le souffle discret de ses nuits, garderait-il aussi quelque chose de moi, comme une mémoire ancienne, comme un chant oublié que seuls les arbres savent encore entendre.

Dédé@Novembre 2025

5 commentaires:

  1. Bonjour, Dédé !
    Que de choses pourra sans doute te raconter ce mélèze l'hiver terminé ! Il va apprécier votre visite, vos mots, vos confidences, vos complicités ! C'est comme le petit Prince quand il apprivoise le renard, ils deviennent uniques ! L'avez-vous donné un nom?
    Bravo pour votre photo !
    Et je vous remercie pour la partager avec nous tous.
    Salu2 méléziens!

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  2. Je m'excuse d'avoir fait deux erreurs, la première "lui" avez-vous donné un nom.
    Et la deuxième, j'ai tutoyé au début.
    Excusez-moi.
    C'est que je suis peut-être encore au lit et que je ne me suis pas encore réveillé !
    :)

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  3. Petit mélèze deviendra grand puisque tu lui prêtes vie !
    Bonne journée Dédé.

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  4. Ce petit mélèze me rappelle une connaissance, elle aussi soumise durant certains temps à une disette professionnelle, des contrariétés, des moments de vaches maigres, mais qui était profondément enracinée dans un sol riche et sauvage. Qui pouvait donc compter sur un socle solide et nourrissant, celui de ses valeurs et de son instruction, et qui allait durer en dépit des bourrasques, du manque de soleil, du froid mordant, jusqu'au printemps qui ne pouvait qu'arriver, inexorablement.

    Bon week-end, dame Dédé, que je vous souhaite par ailleurs ensoleillé

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