Avis à celles et ceux qui passent par ici et qui prendront le temps de lire :
Chaque année, depuis que ce blog existe, je vous ai écrit un conte de Noël, habité par une foule d'animaux aux fourrures rousses ou blanches, de lutins affairés, de sapins illuminés tels des cathédrales et d'étoiles gracieuses magnifiant toute la forêt.
Cette année pourtant, l'émerveillement s'est quelque peu tari sous le poids des difficultés et les mots sont restés longtemps silencieux. Même si j'ai pris soin de partager avec vous les plus belles choses qui me sont arrivées, notamment mon voyage en Suède, la magie, elle, est demeurée bien souvent en retrait. Le monde m'a semblé plus lourd, les tempêtes de ces derniers mois ayant éteint peu à peu tous mes rêves.
Je me suis dit que vous m'en voudriez peut-être de laisser la forêt muette, elle qui, d'année en année, porte mes histoires et mes espérances. Alors j'ai quand même laissé venir quelques mots, que je vous livre aujourd'hui.
« Je vis dans un chalet adossé contre un cordon boisé, un refuge de bois qui craque doucement sous le poids de l'hiver, un nid d'altitude où je me recroqueville lorsque le monde devient trop bruyant ou trop rude. Derrière mes vitres et ma solitude, la forêt et les montagnes s'offrent chaque jour en un tableau changeant, mystérieux, tantôt tendre, tantôt sauvage, toujours vivant.
C'est là que je m'abrite et que j'observe, avec l'impression étrange que, cette année, un pan de moi s'est assoupi, l'enchantement du monde s'étant effiloché dans les plis d'une fatigue immense et trop lourde à porter.
Les animaux, eux, n'ont pas cessé de traverser la clairière. Junior, l'écureuil, bondit avec la vivacité d'une étincelle fauve, les chamois glissent entre les rochers avec l'aisance de funambules silencieux, les biches se faufilent dans les ombres bleutées du matin, Gaspard le renard trace parfois sur la neige des arabesques gracieuses et très haut, un aigle décrit ses cercles souverains pour rappeler qu'au-dessus des bruits du monde, il existe encore la majesté.
Et pourtant, tandis que la forêt continue son ballet, je sens en moi un voile, une brume intérieure qui recouvre ma capacité à m'émerveiller. La dureté des temps, les nouvelles accablantes, les violences lointaines mais si proches, ont éteint un éclat fragile que je croyais inamovible.
Un soir pourtant, tandis que décembre embrasait le ciel avant la nuit, un mouvement imperceptible a traversé la lisière. Ni renard, ni chamois, ni humain, mais un frémissement dans l'air, un souffle presque irréel qui a fait vibrer les branches des sapins.
J'ai ouvert la fenêtre malgré le froid saisissant et l'odeur de résine mêlée à un parfum indéfinissable de sucre chaud est venue m'envelopper. La forêt voulait rappeler subtilement qu'elle n'avait pas oublié ses secrets, même si moi je doutais des miens.
Dans la clarté hésitante de la lune, j'ai aperçu les lutins. Ils n'avaient pas l'allégresse tapageuse des années précédentes, pas de tambourins, pas de farandoles. Ils avançaient à pas souples, presque graves, leurs bonnets rouges inclinés ; eux aussi avaient dû traverser un long hiver intérieur. Leurs lanternes diffusaient une lumière si fragile qu'elle menaçait de vaciller au moindre souffle mais elle persistait, obstinée, éclairant la neige d'un halo doré.
Plus loin, un lynx inspectait les alentours avec la prudence d'un gardien silencieux, tandis que les oiseaux, rassemblés sur les branches alourdies de neige, retenaient leur chant, suspendus dans une attente dont je ne comprenais pas encore le sens.
Puis une note s'est élevée, minuscule et timide. Une mésange huppée, sans doute la plus audacieuse de toutes, a lancé un premier trille, auquel une autre a répondu, et une autre encore, tissant dans l'air glacé une mélodie délicate mais vibrante, un fil d'argent tendu dans la nuit.
Les lutins ont relevé la tête, le lynx s'est figé, Junior a interrompu son grignotement, et un silence lumineux a envahi la forêt, un silence habité où tout redevenait possible.
Alors, derrière les grands sapins, une lueur s'est levée, d'abord discrète, puis plus franche et plus sûre, se souvenant soudain de sa mission. Une étoile s'est dressée au-dessus de la cime la plus haute, une étoile qui n'éblouissait pas, mais qui scintillait avec la douceur têtue des vérités qui ne disparaissent jamais complètement.
Et sous cette étoile, la forêt a retrouvé sa respiration, les oiseaux ont déployé leurs ailes, les lutins ont souri, le lynx a relevé la tête, Junior a fait un bond de plus, et depuis mon refuge, j'ai senti en moi se dénouer un nœud ancien, une part de la lassitude s'éloignant enfin.
Ce n'était pas un miracle au sens spectaculaire du terme, ni un enchantement débridé. C'était plus humble, plus secret peut-être, mais cela vibrait, fil de lumière tiré tout doucement d'un tissu sans âge. Une présence presque palpable se glissait entre les troncs, un souffle venu d'ailleurs, une manière tendre qu'avait la forêt de dire que rien n'était tout à fait perdu.
J'ai compris que l'espérance n'avait jamais disparu. Elle s'était seulement retirée un peu, observant depuis l'ombre avant de s'avancer, plus discrète et plus exigeante, demandant qu'on tende vraiment la main pour la percevoir. Il fallait écouter autrement, patiemment. Il fallait regarder avec le cœur plus qu'avec les yeux, et puis croire non plus dans le vacarme des miracles scintillants mais dans la persistance de l'invisible douceur.
Alors la magie est revenue. pas en feu d'artifice mais en murmure doux et réconfortant. Elle glissa entre les sapins, alluma une étoile au sommet des branches et réchauffa la nuit froide et l'humanité entière.
Peut-être était-ce, tout simplement, la magie de Noël. »
Belles fêtes à toutes et tous.
Dédé@Décembre 2025

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