Baie de Mindelo, Sao Vicente, Cap Vert
Après avoir parcouru la montagne
verte en tous sens, j’ai rencontré la mer, grandiose, furieuse parfois mais
toujours belle. Chaque fois que je la retrouve, elle exerce toujours une
fascination sur moi, comme si c’était la première fois que je la voyais. Et
pourtant, je la côtoie depuis nombre d’années déjà.
Petite, je construisais des
châteaux de sable sur la plage, bâtisses éphémères qu’elle prenait un malin
plaisir à détruire dès que je rangeais ma petite pelle et mon seau, fière du
travail accompli. Inconsolable devant un tel gâchis, je m’asseyais à côté du pauvre
pâté de sable déformé par le roulis des vagues et je pleurais toutes les larmes
de mon corps.
Rapidement consolée, je partais
ensuite à la recherche des plus beaux coquillages enfouis dans le sable. Je les
empilais alors dans mon seau magique et je les offrais avec un grand sourire à
Maman qui ne savait que faire de tous ces présents ensablés qu’il fallait
nettoyer avant de les mettre dans la valise du retour.
Plus grande, j’ai admiré avec émotion
le mariage majestueux de la mer et de la montagne en Norvège. Dans des fjords
grandioses, les montagnes se jetaient gracieusement dans les flots. Je me
souviens des pics aiguisés de mille mètres d’altitude surplombant une baie aux
eaux claires. Au premier plan, d’anciennes cabanes de pêcheurs sur pilotis dormaient,
délicatement habillées de la traditionnelle teinte carmin du temps où la
peinture était mélangée aux entrailles de poisson. On dormait les pieds dans
l’eau et le nez dans les montagnes, les sens constamment en éveil devant tant
de beauté.
J’ai revu la mer, ici ou là, au
gré de mes voyages et au fil du temps, plate ou démontée, verte ou bleue. Mais
en ce début d’année, j’étais impatiente de sentir à nouveau les embruns marins
et la teinte de l’océan a fait ressurgir des émotions depuis longtemps
enfouies.
Elle n’est ni mon amie, ni mon
ennemie. Je ne sais pas la dompter et je peine souvent à la comprendre. Même si
je nage comme un poisson, je n’ai pas du tout le pied marin lorsque j’embarque
sur de frêles embarcations ou des bateaux plus imposants. Pour moi, la mer
représente un espace, une immensité et un horizon imperceptible ; elle est
en quelque sorte la fin du monde visible lorsque l’astre du jour plonge dans ses
flots à la fin de la journée.
J’aime cependant voir tanguer dans
ses ports les barques colorées, impatientes de retrouver le grand large. Et caressant
les pentes arides de mes montagnes intérieures la nuit venue, le roulis régulier
des flots m’aide à trouver le sommeil, rendant mes rêves plus doux et mes
cauchemars moins abruptes.
La lumière de l'eau est une
caresse. Alliances vermillon, bleu saphir, vert profond, or : la nature artiste décline ses teintes à
l’infini et chasse la grisaille de mes yeux lorsque je contemple en silence les
flots calmes. Ainsi, une promenade maritime chasse mes vaines préoccupations et
clarifie mon esprit. Certaines angoisses disparaissent alors car le bruit des
vagues comporte, en quelque sorte, un pouvoir de purification.
Pourtant, je lui préfère
indéniablement la montagne, sans doute parce que mes racines sont plongées
depuis ma naissance dans un sol calcaire et granitique. Même si elle m’a ravi des
êtres chers dans le passé, je retourne sans cesse à elle. La montagne peut être
terrible lorsqu’elle est fâchée et qu’elle veut reprendre le pouvoir sur les
alpinistes orgueilleux mais le jeu du soleil entre les failles des parois
rocheuses fait palpiter mon cœur d’intenses émotions. Et je suis toujours ravie
de découvrir sous les pierres mille espèces de fleurs délicates qui, timides,
se cachent pour se faire belles.
Après toutes ces années, je crois
que j’aime cette montagne peut-être parce que ses parois altières retiennent
mon esprit vagabond cherchant sans cesse à échapper à tout contrôle. Alors que
l’infini de la mer et de l’océan me donne l’impression de me perdre, évoluer
entre les pierres me procure une sensation d’enracinement et génère sérénité. Je ne suis pas dans les sables mouvants et
fluctuants mais mes pieds cherchent le meilleur appui dans les cailloux et lors
des ascensions, je sens battre le cœur profond de la terre sous mes mains.
Dans ce voyage que je tente de
rapporter par des mots, j’ai ressenti pourtant la force de ces deux éléments,
l’eau et la terre. En effet, j’ai aimé cette mer drapée dans ses nuances
chatoyantes. Les barques multicolores des villages de pêcheurs ont aussi ravi
mes yeux et les embruns des vagues ont purifié mon esprit. Mais grimper à
l’assaut de ces montagnes acérées m’a permis aussi de toucher du doigt les
cieux, de m’évader dans une immensité sans fin et d’accéder à la beauté
intemporelle d’une terre inviolée, comme si je côtoyais une forme de divin.
C’est un périple fabuleux que je
viens de terminer et j’ai de la peine à refermer cette page depuis mon retour.
L’appel des montagnes résonne encore au fond de moi et le roulis des vagues
emplit mon cœur d’une douce mélancolie.
Aujourd’hui, je me laisse aller à
tous ces souvenirs. Et la « diva aux pieds nus » (cliquer sur le lien), avec ses mélodies reprises
par tant de musiciens m’étreint le cœur et me rend nostalgique. En plissant les
yeux, je revois ce coucher de soleil entre deux pans de montagnes, baignant d’une
couleur indéfinissable une baie majestueuse. Et j’entends encore le silence
assourdissant qui régnait tout là-haut, au sommet, alors que mon regard
plongeait dans la mer, presque deux milles mètres plus bas.
Peut-être ai-je laissé une partie
de moi là-bas, accrochée à un pan de montagne ou perdue dans les flots de
l’océan. En tous les cas, j’y ai trouvé des choses qui m’ont fait grandir et
profondément émue : la simplicité et l’accueil d’un peuple, une musique métissée
qui raconte l’histoire de tout un pays, l’effluve salée de la mer et les
senteurs discrètes des potagers en escaliers dans les montagnes. Avant de
partir, je rêvais de larguer l’impossible et de dire adieu aux pesanteurs
terrestres. A mon retour, je sais que je suis restée un peu ancrée dans le sol rugueux
de ces îles majestueuses, balayées par les flots de l’Atlantique et par le vent
du large.
Ce Cap vert, parfois si pauvre,
m’aura enrichie de mille sensations. Paradis perdu dans l’immensité de l’océan
Atlantique, il m’a fait vibrer, par la beauté de ses paysages et la chaleur des
habitants animés par la sodade. J’y retournerai un jour.
Si tu m’écris
Je t’écrirai
Si tu m’oublies
Je t’oublierai
Jusqu’au jour
De ton retour
Salamansa, Sao Vicente, Cap Vert
Dédé © Février 2017