Après avoir emprunté un virage
sur le sentier caillouteux, j’ai senti une présence derrière moi et soudain a
jailli de sous les arbres un élégant animal cornu. Il m’a dépassée en gambadant
joyeusement. J’ai eu toutes les peines du monde à le suivre et c’est à bout de
souffle que j’ai émergé dans une petite clairière entourée d’arbres
majestueux.
C’est alors que la même voix que
j’avais déjà entendue auparavant résonna une nouvelle fois en demandant de
m’arrêter. Devant moi se dressait un chêne massif et altier, la voix semblant
surgir de son écorce rugueuse. Elle me parla en ces termes :
« Regarde autour de toi et
observe avec respect ce que la nature vous offre à vous, les humains, au fil
des saisons. Au printemps, les bourgeons naissent à la tendre lumière du soleil
et habillent d’un doux duvet les arbres revenus à la vie. En été, les feuilles
bruissent dans la chaleur étouffante en offrant un abri de fraîcheur à qui sait
s’arrêter pour caresser les troncs massifs. Mais c’est en automne que les
végétaux ouvrent leurs plus beaux coffrets pour déverser sur la terre leur or
chatoyant. Les feuilles qui tapissent les chemins les illuminent un temps avant
les premiers frimas et font le bonheur des enfants avides de couleurs. En
hiver, les arbres s’enveloppent dans les flocons de neige pour se reposer avant
de naître à la vie le printemps revenu. Il est de ton devoir de préserver le
cycle de nos existences pour donner aux générations futures des bouquets de
forêts qui égayeront toujours vos campagnes et montagnes. »
Ebranlée par ce discours, j’ai à
peine eu le temps de reprendre mon souffle que les arbres se mirent à s’agiter
doucement, laissant tomber au sol une radieuse pluie d’or. Les feuilles virevoltèrent
encore et apparut une foule de farfadets guillerets jouant d’instruments aux
formes inconnues formant une fanfare bigarrée. L’un d’entre eux vint me prendre
la main et je fus entraînée dans une valse tourbillonnante de plus en plus
rapide. Prise de vertige, j’entraperçus
le petit poney qui battait la mesure avec ses sabots et me regardait de ses
grands yeux sombres et affectueux. Et les champignons, d’habitude si timides, se
balançaient au rythme de la musique, agitant joyeusement leurs chapeaux.
Soudain, tout redevint calme et
je me retrouvais assise par terre, alors qu’un éclair fulgurant illuminait
brièvement les sous-bois. Je me suis retournée en cherchant des yeux la fanfare
espiègle mais les arbres étaient redevenus silencieux et le vieux chêne
semblait absorbé dans une méditation silencieuse. Je me frottais les yeux,
consciente que j’étais à nouveau seule. C’est à ce moment-là que je vis à mes
pieds un bouquet de feuilles brillantes, comme si elles étaient ceintes de
mille diamants. Je compris alors que la forêt m’avait fait un cadeau éternel
dont je devais prendre le plus grand soin.
Aujourd’hui, je me souviens encore
avec émotion de cet épisode magique. Et lorsque la nuit descend dans ma demeure
et que l’obscurité envahit peu à peu les pièces, brillent encore les petites
feuilles d’automne toujours serties de diamants de rosée. Et si je me concentre
longuement, j’entends résonner quelques notes oubliées, soufflées par le petit
orchestre forestier.
Ceux qui ne me croient pas
aujourd’hui devraient pourtant se souvenir que la nature est un temple qu’il
faut préserver. Et même si les arbres ne nous parlent pas tous les jours et que
les lutins ne parcourent pas toujours nos chemins, la forêt et ce qui l’entoure
ne doivent pas souffrir de la folie des hommes avides de les dominer.
Dédé © Décembre 2016