Après un printemps en apnée, j’ai suivi un souffle venu du Nord.
Voici la première partie du récit d’un voyage qui m’a permis de réapprendre à respirer.
Le départ : quitter le cocon
Le printemps avait été chaotique, et la fatigue accumulée
m’avait retenue dans le cocon de mes montagnes. Quitter mes Alpes valaisannes
me semblait dès lors presque impossible :
ma valise pesait bien plus que quelques effets personnels, elle contenait mes
peurs, mon besoin de refuge, ce confort silencieux des hauteurs qui m’entourait et me protégeait.
Pourtant, un appel intérieur s’est fait entendre, discret
mais tenace : celui du
Nord. Mon père m’ayant
transmis depuis toujours cet amour pour ces latitudes lointaines, mes souvenirs
heureux des Highlands, de l’Irlande, des Cornouailles, de la Norvège et de toutes mes précédentes visites nordiques m’ont ainsi
poussée vers l’ailleurs.
Alors, j’ai cédé et franchi la barrière de mon anxiété.
Je me suis élancée, laissant derrière moi l’altitude
rassurante de mes montagnes pour gagner la latitude des grands espaces, où
l’air et l’eau promettaient échappée, lumière et perspectives nouvelles.
La première étape de mon périple fut de déposer ma valise
sur les rives où la Baltique s’unit au lac Mälaren, là où l’eau salée et l’eau
douce se mêlent en un dialogue tranquille. À Stockholm, Venise du Nord et
capitale royale, je suis devenue spectatrice du ballet des eaux et des
architectures, où la clarté caresse chaque façade et chaque reflet.
Stockholm, la Venise du Nord
En traversant la ville depuis la gare, les flots omniprésents
entre les quatorze îles m’ont tendu les bras et j’ai été saisie par le ballet
incessant des bateaux, l’élégance des façades, la sensation d’une inspiration constante
qui accompagnait mes pas. La ville semblait rêvasser au bord de l’eau, paisible
et tranquille, et pourtant pleine de vie, jamais oppressante : chaque instant invitait à la contemplation.
Skansen et Skeppsholmen : mémoire et mer
Mes premiers pas à Stockholm m’ont menée au Skansen, sur
l’île de Djurgården, ce musée en plein air où les maisons traditionnelles
suédoises racontent le quotidien des siècles passés. Chaque bâtiment, chaque
artisanat semblait vivre au rythme de l’île, bercé par les eaux calmes
alentour. Les jardins et les grands espaces invitaient à la flânerie, à la
respiration d’un temps étendu, loin de l’agitation de la ville.
Après cette quiétude, le vent m’a entraînée sur Skeppsholmen,
où des embarcations majestueuses ou toutes timides dormaient dans le port, après
leurs traversées mythiques. Le bois parfaitement poli de leurs ponts murmurait
encore les histoires des vagues affrontées et chaque voile repliée gardait le
souvenir des tempêtes et des horizons parcourus. Les noms des navires contaient
des périples impossibles et les gouvernails, maintenant au repos, reprenaient
encore le chant des sirènes. Tout respirait la mer, Ancres et focs participant
à cette évasion silencieuse. Ce n’était pas un cimetière de bateaux mais des
bâtiments encore vivants de leurs exploits, même s’ils se reposaient à quai.
Gamla Stan : le cœur battant
Puis vint Gamla Stan, le cœur médiéval de Stockholm, où la cité
s’est développée grâce aux liens commerciaux avec les villes de la ligue
hanséatique. Ses ruelles étroites, ses places pavées et ses façades colorées —
rouge, jaune, rose et brun — décrivaient chaque négociation, chaque pas des
marchands et des marins d’antan. La foule y était dense mais le front de l'eau offrait un instant de pause : il reflétait les
maisons comme un miroir de leur histoire.
Décidément, la ville vivait au rythme de ses îles, de ses
ports et de ses bateaux, toujours en dialogue avec les ondes de la Baltique et
du Mälaren, et cette présence vivante m’a accompagnée jusqu’au musée Vasa.
Les musées : naufrages et résonances
Au musée Vasa, j’ai croisé un silence chargé d’échos devant
l’épave du géant de bois, englouti à peine une heure après son départ de
Stockholm en 1628. Le vaisseau semblait encore retenir son haleine. Devant sa
coque sombre, ses sculptures figées et la proue de lion figée dans une gloire
interrompue, j’ai senti un frisson me traverser — non pas de peur, mais de
reconnaissance. Le Vasa portait en lui les rêves trop lourds d’un roi,
l’orgueil d’un monde qui croyait dompter les éléments. Mais l’eau ne se plie
pas. Elle accueille, elle engloutit. Ce navire, majestueux et vulnérable, m’a
rappelé que toute traversée porte en elle la possibilité du naufrage. Et que
parfois, il faut sombrer un peu pour apprendre à respirer autrement.
La même intensité m’a rattrapée dans un autre musée, dédié à
la Baltique et à ses drames. On y diffusait les voix des capitaines venus
secourir l’Estonia, ce ferry englouti en 1994. Des voix tendues, précipitées,
suspendues dans l’attente — puis plus rien. Un silence lourd, comme une porte
qui se referme trop vite. Dans cette salle, j’ai éprouvé le poids des eaux
nordiques, ces étendues qui façonnent les peuples autant qu’elles les éprouvent. Le
Vasa, l’Estonia : deux engloutissements, deux époques, mais une même leçon.
L’eau ne distingue pas la grandeur du projet ni la modernité du navire. Elle
rappelle, inlassablement, que toute puissance est vulnérable. Et qu’après
chaque tempête, il faut réapprendre à inspirer, dans l’histoire comme en soi.
Södermalm : ouverture bohème
À Södermalm, j’ai découvert un autre visage de cette cité
insulaire — créatif, bohème, léger. J’ai aimé me perdre dans ses ruelles
animées, glisser entre ses jardins secrets. Mais ce sont surtout ses quartiers
préservés, ponctués de maisons rouges ouvertes sur le ciel et le large, qui
m’ont touchée au plus profond.
Ancien repère de marins et de pêcheurs, Södermalm respire
encore le ressac des vagues. Le vent qui glisse entre les murs semble reprendre
les chansons à boire, et fait remonter à la surface les expéditions risquées
vers des terres lointaines, encore vierges.
Là, j’ai senti que la ville appartenait vraiment à ceux qui
l’habitent. Qu’elle battait à son propre rythme, loin du flot des touristes. Et
dans cet élan urbain, cette mer toujours présente, la clarté du Nord a susurré
au fond de mon cœur des aventures infinies.
Je m’y suis sentie à la fois étrangère et pleinement
accueillie. Comme si Stockholm, dans sa radiance douce et sa mémoire salée,
m’autorisait simplement à être moi-même.
La lumière du Nord : une révélation
Durant ces quelques jours de découvertes, la lumière
nordique m’a enveloppée, baignant Stockholm d’un éclat particulier, surtout le
soir : douce et vive à la fois, elle caressait les façades,
jouait sur les reflets de l’eau et donnait aux perspectives une
profondeur que seules la mer et les montagnes savent offrir. Comme dans mes
Alpes, où l’altitude nous
rend humbles et vivants, ici les ondes marines rappellent que l’humain ne peut que se laisser porter par la puissance des éléments. Elle offre respiration,
immensité et humilité, faisant écho aux naufrages
intérieurs, à ce repli où tout semble englouti et perdu à jamais.
Stockholm m’a paru ouverte au monde. Les drapeaux
arc-en-ciel flottant sur les bâtiments, l’hôtel de ville qui accueille la
cérémonie du prix Nobel, le sentiment que chaque coin de rue pouvait accueillir
l’autre, le différent, tout m’a donné l’impression d’une ville généreuse, où
curiosité et tolérance façonnent le quotidien. Ici, la vastitude n’est pas
seulement celle de l’eau : elle est celle de l’humanité. Dans un monde qui parfois se recroqueville sur lui-même trop facilement, où la peur et le
doute enferment individus et sociétés, Stockholm se tient encore comme un
souffle d’ouverture. La belle rappelle qu’une ligne lointaine existe toujours mais
qu’il suffit peut-être de respirer profondément pour retrouver sa place dans le
monde, après les dérives intimes comme après les tragédies collectives.
Vers l’archipel : l’horizon comme promesse
À mesure que mes pas me guidaient vers les quais et les
ponts, vers les musées et les terrasses agréables de l’été, l’appel de
l’archipel se faisait cependant sentir. La cité, par son éclat magique, la
Baltique et ses secrets, semblaient me rappeler que chaque cap est une
invitation, que chaque île, chaque bras ondé, est une ouverture vers
l’ailleurs. Dans des sociétés qui sombrent peu à peu dans le cloisonnement, ces
îles apparaissaient comme des pouls puissants, des promesses d’espace et de
liberté.
Bientôt, je suivrai alors ce chemin vers ces écueuils où l’eau
deviendra encore plus vaste, où le bruissement des flots portera le regard au
loin, et où la découverte, comme ici, se vivra au rythme de l'âme et
du cœur, loin des dérives passées et des confinements intérieurs.
Stockholm m’a conté un chant d’eau et de lumière, un
murmure venu du large qui m’a appris à respirer autrement. En quittant mes
montagnes, j’ai trouvé un autre sommet — celui de l’horizon. Ici, chaque île
est une promesse, chaque reflet une réconciliation. Et dans ce souffle
nordique, j’ai compris que l’ailleurs commence là où le cœur s’ouvre, même
après les tempêtes et les voiles rabattues.
C’est là, entre naufrages et horizons, que le souffle
retrouvé s’est fait fragile, mais vivant.
Quel meilleur moyen de se réconcilier avec soi-même que de respirer à fond devant les bateaux jouant l’harmonie en contraste avec la terre ferme pleine de couleurs. Que d’histoires derrière ces coques marines ou terrestres. Deux images en communion. A relire comme souvent.
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