vendredi 23 février 2018

Songe d'une nuit d'hiver

Samarcande 2014



Je dédie ce texte à mon cher poète Bizak. Le lire, c'est voyager. Il sait parler aux étoiles du ciel, aux grains de sable du désert et aux perles de pluie.

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Alors que le blanc devient peu à peu la couleur dominante de mon quotidien sis au pied des montagnes et traversé des bourrasques de l’hiver, mon esprit s’essouffle dans le froid et aspire à l’évasion par-delà les frontières, cherchant une destination où les senteurs d’un monde oublié s’envolent à l’infini.

L’âme vagabonde en volutes et soudain, le blanc disparaît pour laisser place à un soleil oblique qui disperse le brouillard et rend lumineuse la route traversant le désert. Celui du Karakoum, dont les dunes sont comme des vagues figées aux contours ambrés et mystérieux, m’appelle et m’enveloppe de ses bras tentaculaires. Et dans mon échappée qui me fait parcourir des distances irréelles surgit soudain la ville mythique, dont le simple nom a fait vibrer tant de voyageurs aux longs cours.

A l’ombre de ses somptueuses coupoles défilaient de longues caravanes en provenance de cet Occident si lointain. Chargées d’or, de pierres et de métaux précieux, de textiles, d’ivoire et de corail, elles croisaient celles de l’Orient transportant fourrures, céramiques, cannelle, épices de toutes sortes et armes en bronze.

Alors que le jour se lève et éclabousse d’une lumière dorée les murs de la cité, la rue s’éveille, diffusant peu à peu des bruit scintillants, spectacle de tous les instants. Aux pieds de la mosquée de Bibi Khanoum, sous les mosaïques bleues qu’on dirait ciselées par des magiciens venus d’un autre monde, une mélopée envoûtante retentit s’enroulant autour des céramiques délicates dans ce monument prestigieux, perles sublimes au milieu d’une cité intemporelle. Et les notes rebondissent sur les pavés, fugitives, avides de vastes étendues, m’entraînant dans une transe langoureuse.

Plus loin, le marché aux épices délivre des parfums suaves qui transportent aux confins de l’Orient. Alors qu’on grille des milliers de chachliks répandant un fumet de graisses brûlées, le marché aux fleurs se pare de couleurs éclatantes, comme des milliers de palettes de peintres oubliées. Tout proche, le bazar des légumes et des fruits regorge de richesses offertes par la terre des oasis de verdure. Le suc des melons, des raisins et des figues se mêlent pour former un délicieux nectar, entêtant, qui une fois goûté parcourt tout le corps, l’irradiant de décharges sublimes, comme si le soleil déversait ses rayons directement dans le cœur.

Dans cette foule et cet océan de couleurs, les hommes s’interpellent dans des idiomes chantants, donnant l’impression que toute l’Asie centrale s’est donnée rendez-vous au milieu des mosquées et de leurs minarets graciles. Parcourant encore des ruelles animées, j’atteins enfin la grandiose place du Registan, encadrée par ses trois écoles coraniques et face à ces glorieux témoins du temps passé, j’oublie tout, minuscule particule d’une grande Histoire qui me dépasse.

Après avoir poussé la porte d’une belle demeure traditionnelle, dans une délicieuse fraîcheur, je déguste un repas digne des Mille et une Nuit, sous une treille chargée de lourdes grappes d’un raisin d’encre. Alors que les étoiles s’allument une à une dans un ciel immense, je respire la douce fragrance d’un monde multiple dont les contours s’estompent lentement sous les doigts délicats de la brume impavide.

L’air est transparent et je perçois son souffle à travers chaque pulsation de mon coeur. J’entends le cri des enfants dans la rue puis l’odeur douce du narghilé s’invite entre les briques des murs encore chauds, dans ce crépuscule peint de délicates teintes rougeâtres. Et dans la nuit qui succède à tant d’autres nuits, je reste immobile, longtemps. Le temps égrène ses heures et se dilue dans une vapeur erratique englobant tout. La lune psalmodiant doucement des litanies sulfureuses, les paroles deviennent inutiles. Shodlik sourit, ses yeux d’un vert profond scrutant les étoiles brillant dans les miens. La vodka chante dans nos verres.

Et comme ailleurs sur cette terre, au sommet du Stromboli crachant son venin de feu, dans les dédales de Syracuse baignée par la mer si bleue, au Cap Nord balayé par le vent et sur l’île de Skye illuminée par des arcs-en-ciel fulgurants, je sens que je tiens au creux de mes mains un peu de ce monde vibrant de clameurs et de vie. Ce monde-là nourrit, emplit, traverse et creuse comme une rivière fait son lit. Et dans cette pulsation de l’eau, de la vie et des hommes, je sens que le vide qui m’assaille parfois ne peut que se combler.

Malgré les bourrasques de flocons au-dehors, je suis retournée, le temps d’un songe, emportée par un grain de sable du Karakoum, à Samarcande.

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Samarcande 2014


Dédé © Février 2018

vendredi 16 février 2018

Tempête




Un soir, le vent se lève et balaie de lourds nuages sombres au-dessus de la montagne. Mordant la peau du visage, il charrie le froid qui descend en cascade le long des troncs et s’engouffre dans la clairière. L’hiver vient du Nord, et les derniers oiseaux s’empressent de s’envoler vers des contrées plus accueillantes. Moi je reste. Toujours. Les corbeaux, formes mouvantes dans le ciel, rendent les ondes encore plus tumultueuses mais je sais que le spectacle sera grandiose, infini dans ses multiples représentations.

Puis la tempête s’installe, les voix discordantes des bourrasques de neige s’enroulant autour de la maison dont les murs tremblent. Elle craque, les jointures des madriers se tendent sous les assauts glacials. Il est inutile de chercher à dormir car les hurlements du vent bondissent au-dessus de la forêt et se heurtent à la pente rocheuse dans un fracas assourdissant. Un sifflement, presque comme un cri humain, se prolonge dans l’espace. Juste après, un long silence angoissant retentit. L’accalmie s’installe quelques courts instants et le lamento de la bise chuchote des mots qu’on pourrait croire amoureux. 

Mais ce sera la plus mauvaise nuit pour le grand mélèze, là-bas dans le lointain. La tempête se recroqueville sur elle-même avant de lancer un nouvel assaut. Et le tronc craque tristement, luttant à bout de souffle contre une force impitoyable. A leur tour, de vieux sapins abandonnent le combat, chutant à terre dans un bruit sourd.

Je guette derrière la fenêtre mais la noirceur de la nuit m’empêche de distinguer le combat qui se déroule au-dehors. J’imagine cependant les destriers fougueux de la saison froide parcourir encore et encore la vallée, laissant derrière eux des vagues de neige.

Et quand enfin le calme revient, après des heures de lutte acharnée, la montagne entière s’ébroue, la respiration saccadée. Une biche s’aventure hors de la forêt et observe la neige qui tombe encore avec une abondance majestueuse. Une larme surgit au coin de ses grands yeux lorsqu’elle voit à terre les vieux arbres sous lesquels elle fixait ses rendez-vous galants il y a quelques saisons. Et peu à peu, les flocons s’espacent, jusqu’à disparaître dans le dernier voile brumeux.

Comme les tempêtes de la vie, celles de l’hiver cessent un jour et s’enfuient dans l’ombre, laissant derrière elles des traces indélébiles. Mais chaque soir, derrière les paquets de nuages, les étoiles s’allument, éternelles boussoles optimistes, éclairant le ciel et illuminant le chemin des âmes perdues.

Et l’hiver, saison de la nostalgie, du silence et du blanc monochrome, cédera un jour la place au gai printemps. En attendant, avec patience et espoir, j’apprends à danser parmi les flocons, valse extatique qui permet de s’élever au-dessus des bouquets de neige.


Dédé © Février 2018

vendredi 9 février 2018

Evanescence



Le temps est comme ce lac que je viens contempler. J’y plonge, les yeux dans ses reflets mystérieux. En l’admirant, l’infini de l’hiver, glacial et indomptable, se dévoile. Le froid fait bruisser la surface du miroir, remous erratiques. Tranquillement le lac s’ébroue et l’éternité demeure. J’aimerais glisser, avec légèreté, dans les vagues de l’immensité.

Flocons reflétés sur le visage de l’eau, dont la profondeur des expressions est envahie de comètes étoilées, la banquise évanescente s’enfuit. Et j’attends sur la berge, éloignée de tout, et pourtant si proche de l’essentiel, comme si l’absence me remplit d’une solitude bienveillante. Dans cette immuabilité, franchir les frontières de l’impossible devient un jeu d’enfant. Et l’évaporation de mon âme fait surgir ces nuages qui embrassent le faîte des arbres.

La fin est un recommencement, un printemps en plein hiver.

Dédé © Février 2018

vendredi 2 février 2018

Tableau marin

Océan fougueux à la Gomera


Il est le bateau quittant le port
Avec des rames caressant les flots
Fier bâtiment ou fragile esquif
Il file sans réfléchir sur l’océan fringuant

Je suis la lame frôlant le sable
Avec des éclairs irradiant les coques
Triste perle ou joyeux phénix
Je roule sans faillir dans la houle haletante

Nous vivrons tel un tableau marin
Toi l’agile coursier et moi le flux déferlant
Nous respirerons comme les voiles éthérées
Toi le mât élancé et moi le tulle vaporeux

Nous partirons dans la métamorphose
Dissous au monde des vivants
Et dans le secret de notre amour
Nous vaincrons les assauts du temps

 Dédé © Février 2018

vendredi 26 janvier 2018

Impermanence

Brume sur la Gomera (Canaries)


La vie est aussi éphémère que cette brume s’accrochant aux flancs de la montagne, engloutissant l’espace d’un instant un paysage dont j’essaie vainement d’imprimer dans mon esprit tous les détails pour me souvenir de sa grande beauté. Un palmier, qui n’existait pas il y a quelques instants, apparaît alors, farouche végétal surgissant des voiles vaporeux. Il s’offre au regard, laissant deviner ses branches majestueuses, détrempées par une fine pluie froide. Se révélant, solitaire parmi les siens éparpillés au loin, il s’élance vers le ciel, pressé de retrouver quelques rayons de soleil afin de se réchauffer.
 
Le ciel caresse la terre de ses doigts impavides et la frontière entre le firmament et les sommets s’estompe peu à peu. La montagne revêt la robe des brouillards, opale translucide, et joue la timide effarouchée.  A la vitesse où roulent les vagues de cette ombre éthérée, tout va disparaître dans un instant et je serai à nouveau seule, perdue dans une nappe opaque.
 
Une nouvelle fois, la nature rappelle que rien n’est immuable. Ainsi, en un instant, le peintre céleste change de palettes et son pinceau fougueux colore de teintes diverses les éléments de son tableau. Le spectateur assiste alors, émerveillé, à la métamorphose qui s’opère sans fin à la surface de la terre : silhouettes évasives, tremblantes sous un ciel amer, les arbres sanglotent alors qu’au loin, les mâts des bateaux lévitent au-dessus des sirènes amoureuses.
 
Bientôt, cette brume fugitive laissera passer les faisceaux solaires. Mais elle est encore là, dans cet instant présent. Et même si elle habille l’atmosphère de nuances froides et austères, elle fait partie des charmes que délivre une île magique, oscillant entre soleil généreux et vapeurs nacrées.
 
Demain, peut-être que notre réveil sera baigné d’or, tombant en paillettes sur notre lit d’amour.
 
Tout change et rien ne perdure. Impermanence des choses.


Lever de soleil sur la Gomera (Canaries)



Dédé © Janvier 2018

vendredi 19 janvier 2018

Au milieu de l'océan



Les cimes étaient blanches, ensevelies depuis des semaines par des chutes de neige généreuses, comme si le peintre céleste avait décidé de n’utiliser qu’une couleur pour ses créations. L’hiver devenu au fil des jours la saison de la nostalgie, monochrome et silencieux, froid et rigoureux, mettait le corps en léthargie. Traverser la pierraille dans une brume épaisse devenait impossible puisque les cairns ne ressemblaient à rien d’autres qu’à des amas de neige informes, presque invisibles. Et lorsque la nuit tombait sur une éclaircie bienvenue, le ciel rougissait violemment en quelques minutes à peine, éclairant d’une main furtive les montagnes, étonnées de cette délicate attention. Il fallait bien se résoudre à attendre une meilleure saison pour grimper à nouveau à l’assaut des sommets. 
L’année se terminait, égrenant ses dernières heures. Celle du bilan était venue mais je n’avais guère envie de ressasser encore et encore les difficultés rencontrées. Il fallait prendre du recul, calmer ma respiration et faire le point, ailleurs et autrement. Ainsi, laisser un temps le blanc immaculé semblait une belle opportunité avant d’entamer une nouvelle étape. 
 
Après un voyage de plusieurs heures, au-delà des frontières et par-dessus les crêtes et la mer, la petite île montagneuse est apparue dans une clarté éblouissante, perdue dans les bleus profonds de l’océan. Eclaboussée de fins rayons de soleil presque chauds, elle dressait ses quelques sommets avec fierté. Bien moins élevée que les quatre milles que je connais, ses pentes abruptes plongeaient pourtant avec délectation dans les flots impétueux, pressés de caresser de leurs doigts marins les pierres orgueilleuses. Et dans cet amas volcanique, entre les palmiers altiers et les pins courageux, des sentiers se perdaient, grimpant dans les brumes tenaces au centre de l’île, virevoltant entre des maisons colorées ou surplombant des vallées encaissées.
 
Bien loin de l’ambiance survoltée des stations balnéaires s’étalant sur les autres îles aux alentours, c’était là le règne du silence, à peine perturbé par le vent soufflant parfois en rafales dans les pins. Quelques amoureux d’une nature presque vierge se rencontraient et se saluaient sur les chemins, occupés à doser leurs efforts et à s’imprégner de cet air si pur.
 
Magiques, les aubes révélaient des nuances de couleurs que j’avais presque oubliées au fond de mon hiver alpin. Les sommets de l’île, réchauffés par un rouge flamboyant, se découvraient alors dans leur nudité et aridité primitive, pitons rocheux et derniers vestiges d’une activité volcanique lointaine. A d’autres moments, la brume amoureuse étreignait de ses mains avides les arbres d’une forêt ancestrale au cœur de l’île, dont les troncs, habillés de mousse, créaient une atmosphère mystérieuse, chuchotant à nos oreilles une langue sylvestre inconnue, fantasmagorie éphémère.
 
Des gorges profondes, barrancos arides ou fertiles, traversaient un paysage varié. Là, c’était une belle campagne, lumineuse et accueillante. Plantée de figuiers, de bananiers, d’orangers et de citronniers gorgés de fruits colorés, de vignes en terrasses, elle s’étirait au soleil, comme une parenthèse terrestre enchanteresse. Alors qu’ici, le règne minéral régnait en maître pour former des ravins abrupts balayés à leur base par des roulis fougueux.
 
Marchant inlassablement, parfois sous une pluie fine et froide noyant des grappes de palmiers détrempés et un majestueux dragonnier esseulé, d’autres fois sous un soleil brûlant presque la peau, j’ai découvert un paradis terrestre, ne se laissant approcher qu’au prix d’un effort soutenu sur des sentiers aux dénivelés pénibles. Glissant, tombant même, je me suis sentie en communion étroite avec cette terre ocre, pourtant bien différente de mes Alpes acérées.
 
Devant le majestueux Teide dressé fièrement sur une autre île, face à ces pins qui reverdissaient enfin après un combat contre le feu ravageant une partie de l’île il y a quelques années, au cœur des massifs arides ou luxuriants, sur une plage de sable noir où tanguaient quelques bateaux colorés et se retrouvaient des barbus sortis d’un autre âge, la magie opérait et le cœur battait au rythme de cette nature si généreuse. On y rencontrait même un Appenzellois exilé cuisinant des fondues et le poisson du jour.
 
Un crépuscule ardent succédait à l’effort et à la découverte et dans une oasis verdoyante, suspendue au-dessus de l’océan, dodelinaient de la tête de délicates fleurs. Dans la douce nuit, effleurées par le vent du large, s’élevaient au firmament quelques notes caressées par les doigts d’une pianiste un peu trop maniérée. La Gomera s’endormait alors sous les étoiles d’un ciel immaculé et immense.
 
Aujourd’hui flottent encore dans mon souvenir le souffle du vent dans les hauts palmiers et la beauté émouvante d’un dragonnier solitaire. Et même si au-dehors, les bourrasques de neige hurlent autour de la maison, je plonge mes yeux dans les tiens et me perds encore et encore dans le bleu de l’océan et dans la brume vaporeuse de la forêt enchantée.





Dédé © Janvier 2018

lundi 1 janvier 2018

Bonne année 2018!





Je vous souhaite une belle année 2018. Que votre route soit belle, sereine et jalonnée de petits et grands bonheurs. 

Je me réjouis de vous revoir ici et dans vos espaces respectifs car ces échanges me sont précieux. 

Je prends une petite pause alors à bientôt!

Bises alpines




Dédé © Janvier 2018