vendredi 30 novembre 2018

Le rire des enfants



Ce jour-là, le ciel était d’un gris vaporeux et le vent soufflait une complainte triste, presque lugubre. Aucun oiseau ne chantait et il régnait un silence perçant. Les grands arbres, alignés pour le dernier bal de l’automne, gémissaient, leur tronc glacé cherchant vainement encore un peu de soleil. Au loin, des bouquets de sapins guillerets contemplaient indifférents leurs frères tordus et presque nus. D’un vert fringuant, ils récitaient déjà la litanie de l’hiver, pressés de voir arriver les frimas qui rendraient cette contrée digne d’un pays du Grand Nord. 

Je luttais contre l’engourdissement tout en avançant, pressée de rentrer me blottir dans la chaleur de ton coeur.

Pendant que je me repliais dans mes pensées retentirent les rires de deux enfants, cheminant joyeusement aux côtés de leurs parents. C’est alors que l’automne presque pâle se réchauffa, distillant une bouffée d’espoir. Exhalant un souffle nouveau, la vallée a frétillé jusque dans les bosquets de sapins et entre les troncs, j’ai vu bondir un écureuil, dansant malicieusement, des noisettes entre ses pattes.

L’hiver pouvait arriver, le printemps le suivrait à coup sûr. C’était devenu une certitude, je l’avais entendu dans la joie tout enfantine des deux bambins.


Dédé © Novembre 2018

vendredi 16 novembre 2018

Marcher, encore et toujours

Haut-Jura français


Le lac avait une couleur changeante, comme celle du ciel. On ne savait pas s’il allait pleuvoir ou si le soleil triompherait. Marcher et contempler, voilà comment résoudre cette énigme en pénétrant à pas feutrés dans ce paisible tableau. Et dans le miroitement de l’eau se lisaient la partition jouée par les nuages, les chants des sapins et la complainte de la vieille maison abandonnée.

Déjà épuisé, l’automne lançait ses dernières cartouches colorées face aux assauts impatients de l’hiver fringuant. Et dans ce mélange subtil de teintes évanescentes, l’eau du lac bruissait pendant que les sirènes invisibles jouaient à dissoudre les nénuphars fanés.

Ce paysage ne mentait pas, c’était simplement mon regard qui le transformait, comme s’il devenait le reflet de mon âme.

Marcher, encore et toujours. Peut-être qu’un jour, je danserai à nouveau la valse du printemps. Mais pour l'instant, il fallait cheminer le long de la rive et ne penser à rien, si ce n'est à cette chaleur indicible qui émanerait de tes bras, le soir venu, tel un brasier éternel.



Dédé © Novembre 2018

vendredi 2 novembre 2018

Flamboiement


La montagne est d'or
Quand les mélèzes flamboient
Reflets de l'automne



Dédé © Novembre 2018

vendredi 19 octobre 2018

Envoûtement



Les terres brunes et désolées étaient balayées par la tempête. Parfois un carré de verdure, délimité par un muret de pierre, brisait la monotonie de la tourbe. Et dans cet écrin entrecoupé de lacs, les chevaux paissaient, crinière au vent, éclairés fugacement par quelques rayons de soleil.

Dans ce coffret laissant s’échapper des mots en gaélique et des notes d’une flûte venues de la nuit des temps, il n’y avait plus rien à dire, juste à contempler et à caresser du bout des doigts les effluves multiples qui jaillissaient de la campagne.

Ma silhouette en marche, entre le gris et le vert, dans la tourbe et dans l’eau, s’est perdue aux tréfonds du brouillard, rejoignant ton ombre sur le chemin mystérieux. Alors, nous avons parcouru ce paysage du bout du monde, comme envoûtés et tel un magicien des songes, le Connemara nous a guidés jusqu’au bout de nous-mêmes.

A cet instant, j’ai su parler la langue des brumes éphémères et j’ai appris la chanson de la terre. Et pendant que tes yeux me caressaient, j’ai bâti le château de nos rêves avec des poussières d’étoiles.

Nous y avons vécu cachés jusqu’à ce que l’écume des vagues emporte tout.


Dédé © Octobre 2018

vendredi 5 octobre 2018

Aux voyages



A ces habits qui ont encombré nos bagages et qui n’ont servi à rien
A ces valises qui ont voulu faire le tour du monde sans nous
A l’inventeur du décalage horaire
A celles et ceux qui applaudissent encore lors de l’atterrissage
A ce douanier trop zélé qui a mis la pagaille dans notre valise
A cet adapteur de prise qu’on a oublié d’embarquer
A toutes ces routes qui ne mènent nulle part et qui ne figurent pas sur la carte
Au bus 326 qui ne circule que tous les trois jours et qui vient de partir sous notre nez
A ceux qui roulent du mauvais côté
Au Pôle Nord, au Pôle Sud et aux Polynésiens
A toutes ces photos qu’on ne triera jamais
A ces cartes postales qu’on n’écrira jamais
A Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch dans le pays de Galles et à Taumata­whakatangihanga­koauau­o­tamatea­turi­pukaka­piki­maungah­oronuku­pokai­whenuaki­tanatahu en Nouvelle-Zélande  
A ce chauffeur de taxi qui nous a fait prendre le raccourci le plus long du monde
A cette chambre d’hôtel si mal insonorisée
A ces alcools locaux qui nous ont arraché la gorge et nous ont mis la tête à l’envers
Aux 40ème rugissants, aux 50ème hurlants et au pays du matin calme
A ces langues qu’on ne comprendra jamais
A ces sourires rencontrés et à ces mains serrées
A tous les enfants joyeux qui voulaient être dans la boîte à images
A tous les châteaux, même ceux qui sont hantés
A ces ruines qui ont traversé les siècles et qui nous racontent encore tant d’histoires
Aux guides érudits et aux autres charlatans
A ces paysages qu’on ne voudrait jamais oublier
A ces vieilles chaussures de randonnée toutes défigurées
A mes tongues qui réclament de partir encore au soleil
A ta main qui a tenu la mienne dans nos périlleuses randonnées
A ces moments que l’on voudrait éternels et qui nous font oublier que demain c’est le jour du retour



A toi, à moi, à nous et à tous les voyages qu’il nous reste à faire ici ou là-bas

Dédé © Octobre 2018