vendredi 24 mai 2019

Pour l'éternité

Abbaye de Kylemore (cliquer sur le lien), construite en 1865 par Mitchell Henry par amour pour son épouse Margaret, Connemara, Irlande



Cette nuit-là, j’aspire à trouver le sommeil, en vain. Je suis obsédée, poursuivie par l’incertitude : dans quelle direction aller, quelle décision prendre ? Rongée par ces questions, aucune réponse ne s’impose. A l’extérieur, le rideau de pluie poursuit son étirement et brouille peu à peu mes pensées, les enveloppant dans un tulle brumeux. Je ne sais plus qui je suis, où j’en suis.

Le murmure d’un lac, caressé par les gouttes célestes, enfle autour de moi. J’entends le vent soufflant dans les arbres qui ondulent en arrière-plan. Je me tiens accroupie sur le sol, tous les sens en éveil. Et soudain, dans un grand battement, je déploie mes ailes et m’élève dans un ciel d’ouate grise. Je vole en rase-mottes au-dessus des flots rugueux de la nappe cristalline, avec des vagues en pâte de verre, très bas et très vite, à la manière d’un grand oiseau. Puis, je me laisse porter par les courants ascendants, naviguant par-delà des lointains monochromes. Parfois, la lumière transperce les masses obscures des nuages et je plane au-dessus du paysage, l’œil vif, l’esprit aux aguets.

Tout en bas, une silhouette avance, laissant derrière elle des traces de pas car le sol qu’elle foule est détrempé par la pluie. Il me semble la reconnaître, presque luminescente dans cette sombre atmosphère, chahutée par les éléments en fureur. Elle chemine, le pas régulier et précis malgré les aspérités du terrain. Veillant à ce que mes ailes ne bruissent pas pour qu’elle ne prenne pas peur et ne disparaisse subitement, je me voile dans une parure de discrétion. 

Aveuglée par une lumière soudaine qui m’oblige à redescendre sur terre, je me pose doucement. Tu te retournes et je te reconnais enfin. Me tendant la main, tu me souris simplement et nous partons ensemble, au-delà de nous-mêmes, loin de tous les autres.

Durant cette traversée, les regrets, l’irrévocabilité, la fugacité, la tristesse et les chagrins s’éloignent sous des ciels tour à tour orageux ou débordant de soleil, comme une allégorie de la vie qui défile. Mais ce n’est pas un temps qui s’enfuit, comme perdu, plein de vide et de non-sens, nous rendant tristes parce qu’il est passé mais bien une marche vers un avenir empli d’espoirs opalescents, où tout devient vaste et possible. Il ne s’agit plus d’insignifiantes petites joies et de plaisirs fugitifs, comme lorsqu’on se désaltère à une source vive par une chaleur suffocante et poussiéreuse. Il s’agit plutôt de choses que l’on souhaite vivre et faire vivre parce qu’elles seules permettront à notre vie, cette existence si particulière, de former un tout et parce que sans elles, cette vie resterait incomplète, comme un tableau inachevé ou un simple fragment.

Dans cette pluie qui prend la teinte du soleil et dans cet astre qui resplendit de mille gouttelettes translucides, je comprends enfin qui tu es et qui je suis pour toi. 

Ton cœur est comme un château, une bâtisse qui m’accueille sans jugement, sans paroles inutiles mais avec les mots essentiels. Et l’évidence s’impose, toi qui me construis chaque jour un nouveau palais, dont les salles d’or resplendissent et où résonnent la mélodie du bonheur. A cet instant où cette certitude jaillit, agonise alors la colère sourde qui m’envahit parfois et qui joue pour moi seule un drame muet dans lequel les personnages principaux ne sont que des ombres.

Le soleil resplendira même au jour des grandes pluies, pour l’éternité.

 Dédé © Mai 2019

vendredi 10 mai 2019

Ici et là-bas



En ce début du mois de mai, alors que le soleil aurait dû briller plus généreusement et la nature se réveiller doucement, la neige tombait, inlassablement, moqueuse et riante devant nos mines déconfites.

Dans la folie des éléments, dans cet hiver qui n’en finissait pas, je me suis rappelé les nuages sombres qui s’étaient amassés en quelques minutes seulement au-dessus du Connemara, en plein mois d’août.  Là-bas aussi, la nature semblait défier toutes nos envies et n’en faire qu’à sa tête, indifférente à nos souhaits de lumière et de chaleur.

Soudain, j’ai eu envie de retourner dans ces contrées balayées par les vents, souvent oubliées du printemps et de l’été mais dans lesquelles la terre raconte encore des légendes de géants et de fées. L’odeur de la tourbe m’est revenue en mémoire, m’ancrant dans une réalité bien différente de celle qui dansait devant ma fenêtre. Et dans les tourbillons des joyeux flocons, j’ai senti le souffle du vent venu du large et balayant la lande désolée et j’ai été transportée là-bas, bien loin d’ici. La ballerine vêtue d’un blanc immaculé virevoltant au-dehors s’est transformée alors en une charmante danseuse tournoyant au son d’une flûte irlandaise.

Il ne manquait plus à ce tableau dans lequel les éléments naturels s’entrechoquaient qu’un verre de Connemara Turf Mor pour me réchauffer le cœur. 


Dédé © Mai 2019

vendredi 26 avril 2019

Néant



Dans un crissement de freins qui avait réveillé nombre de voyageurs assoupis, le train s’était arrêté dans une gare qui semblait totalement désaffectée. L’heure indiquée sur l’horloge ne correspondait pas à la réalité, personne n’attendait sur le quai et une petite remorque semblait avoir été oubliée là depuis des lustres, seule et abandonnée sous la pluie battante.

Du bâtiment gris et sombre se dégageait une impression de tristesse infinie et l’orage qui venait de s’abattre sur la région ne faisait que renforcer cette atmosphère lugubre. L’eau ruisselait sur la vitre et à travers les traînées de pluie, je tentais vainement d’apercevoir une note vivante dans ce tableau amorphe. Mais rien ne bougea, comme si le temps s’était arrêté à l’heure indiquée sur la grosse pendule immobile.

Personne d’autre que moi dans le convoi ne semblait s’intéresser à ce qui se passait à l’extérieur et la petite gare resta seule sous la pluie qui redoublait d’intensité.  Lentement, le train reprit sa route dans un crissement aigu, rapidement suivi par le roulis régulier des roues sur les rails.

Pourquoi donc le train avait arrêté sa course dans un tel endroit ? Pourquoi personne n’était descendu et aucun voyageur n’avait rejoint le convoi ? Engoncée dans mes pensées et les yeux prisonniers des figures que la pluie dessinait sur les vitres, je ne vis pas tout de suite que le convoi s’était vidé de ses voyageurs alors qu’il continuait pourtant sa course monotone, sans aucun arrêt. Mais soudain, l’angoisse m’étreignit quand je me rendis compte que j’étais seule, irrémédiablement seule et que les autres personnes s’étaient comme volatilisées sans laisser de traces, même pas une valise oubliée sur un porte-bagage.

La réalité s’imposa peu à peu à mon esprit, effrayante, glaçante. J’étais à présent seule dans un train fantôme et je ne savais pas où il me menait.


 

Elle n’atteignit jamais sa destination. Le train avait disparu dans le tunnel et n’avait pas réapparu à l’autre bout. D’ailleurs, les horaires n’avaient jamais mentionné ce convoi.  La jeune femme s’était évanouie dans le néant, comme aspirée dans une autre dimension.



Dédé © Avril 2019

vendredi 12 avril 2019

Avancer



Ce jour-là, j’avançais sur le chemin encore blanc. Je ne savais pas où tout cela me mènerait, juste que c’étaient toujours les mêmes pensées qui m’assaillaient. Mais dans cet hiver finissant, sur cette neige fraîchement tombée la veille, il y a eu comme un air de printemps qui a soufflé soudainement, magnifié par le chant de la petite mésange perchée sur l’arbre encore dépouillé.

Et ces quelques notes se sont envolées, emplissant le fond de la vallée, remontant jusqu’au sommet de la montagne, emportant une touche d’espoir jusqu’aux confins de l’humanité.

Il fallait avancer, coûte que coûte et ne rien regretter.


Dédé © Avril 2019

vendredi 29 mars 2019

Le vieux cloître

Basilica di Sant'Andrea, Vercelli, Italia

Au milieu des brumeuses rizières, entre les exploitations agricoles fondées il y a longtemps par des ordres monastiques et d’élégants châteaux délicatement posés au sommet des collines est apparue la petite ville italienne et sa basilique, s’éveillant aux doux rayons du soleil printanier.

Il y avait je ne sais quoi de solennel dans le vieux cloître, les colonnes et les voûtes chuchotant les prières des moines d’antan. Et dans ce dédale orchestré par les jeux d’ombre et de lumière, à déambuler ainsi dans le mystère du monument, j’ai senti comme un souffle, celui du temps passé qui voulait encore parler au présent, faire entendre sa voix et dire que dans bien des malheurs, la caresse du vent et du silence apaise. J’ai chanté peu à peu le printemps, mêlant ma voix aux litanies oubliées.

Le cloître a alors frétillé de toutes ses vieilles pierres et puis s’est rendormi doucement, comme si rien d’important ne s’était passé.

Pour moi, ce fut pourtant un moment d’exaltation intérieure, comme une parenthèse dans le vacarme de l’existence. Je suis partie ensuite sur la pointe des pieds, n’osant troubler le repos du vieil édifice, l’emprisonnant cependant dans ma boîte à images, en noir et blanc, comme pour lui dire que je respectais ainsi son très grand âge et que je ne voulais pas l'oublier.


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Note: Plusieurs personnes qui n'avaient pas de compte Blogger se sont plaintes de l'épreuve des captchas pour laisser un commentaire ici. J'ai donc activé la modération des commentaires, ce qui enlève les captchas. Depuis lors, certains qui avaient un profil Blogger ne peuvent plus laisser de message avec leur profil. Et je n'ai jamais eu autant de commentaires anonymes à trier. La solution la meilleure pour les uns ne l'est pas pour d'autres. Si vous n'arrivez pas à laisser de message pour une raison ou pour une autre, merci de me laisser un mail. Pour l'instant, je garde ce système même si je ne le trouve de loin pas performant.
Mais ceci n'est pas le sujet du jour et le vieux cloître attend vos commentaires si le cœur vous en dit. Merci.

Dédé © Mars 2019

vendredi 15 mars 2019

Musique



Ta voix résonne telle une musique
Partition de mots tendres et complices
L’Amour s’épand en notes suaves
Comme un vent qui souffle sans fin
Et les roses couvriront les murs
Même à l’hiver de notre vie

Le temps s’écoulera lentement
Dans la valse de nos corps unis
L’accord parfait montera au ciel
Comme une symphonie dans nos mains
Et les oiseaux pépieront de joie
Même à l’hiver de notre vie

La vie jaillira en mélopée
Entre toi et moi mon ami

Mon tendre mon doux amant
Toi l’homme qui chante mon printemps


Dédé © Mars 2019