Rien ne reste à jamais figé à l’image des saisons changeantes. La vie s’écoule au rythme du temps et de ce fait, elle nous soumet à l’impermanence des choses, à l’éphémère.
Savoure ainsi chaque instant tel un dernier hommage. Enivre-toi et fleuris en ton existence, avec les mots et les images.
Sur la lande balayée par le vent, tout bruissait. L'herbe ondulait, comme une vague sans fin et le mauvais temps menaçait à l'ouest.
Dans ces gros nuages noirs qui s'amoncelaient au-dessus de la colline, il y avait la promesse d'une belle pluie sauvage.
Alors, le regard s'est porté de l'autre côté, là où le ciel semblait plus serein et dans cette atmosphère perturbée, on a décelé l'éclaircie salvatrice qui allait nous transporter.
La leçon du peintre exposé ce jour-là:
"Regarder l'ensemble du tableau et en percevoir toutes les nuances.
Savoir osciller entre espérance et déchirement."
Ce peintre était assurément un artiste de génie.
P.S. En pause pour une durée indéterminée. J'ai envie de regarder les fleurs pousser.
Ce jour-là, les écrans montraient une femme devant son immeuble éventré par des missiles. Les larmes plein les yeux, la voix éraillée, elle déclarait avec désespoir à l'humanité entière: "Soyez conscients de ce que vous avez car tout est éphémère". Devant cette scène, le coeur serré, certaines contrariétés quotidiennes me sont alors apparues comme profondément ridicules.
Dans cette actualité avare de bonnes nouvelles, il est parfois bien difficile de se diriger vers la lumière et de continuer à espérer en la nature humaine. Alors pour contrer la morosité ambiante, pour se détourner de ces images profondément anxiogènes qui tournent en boucle sur tous les supports médiatiques, il est un baume qu'il faut savoir apprécier, celui que la nature nous offre, même dans les plus infimes choses. Et alors, dans le souffle du vent qui fait danser les sapins, le chant des oiseaux indifférents à la folie des hommes et les couchers de soleil majestueux se dessinent quelques lueurs de beauté, envers et contre tout.
C'est cette leçon de vie que Maître Zen, mon ami l'accenteur alpin, m'a contée tout l'hiver, en ukrainien, en russe et dans toutes les langues de la terre.
P.S. Je soutiens l'Ukraine (petit drapeau figurant à droite de ma page) mais je n'oublie pas tous les autres pays en guerre de par le monde.
Quand l'Astre tira sa révérence, après une journée durant laquelle il n'avait fait que nous épater par ses manières délirantes de colorer, esquisser et caresser les sommets, alors qu'on croyait qu'il nous avait tout dévoilé, il décida encore de nous épater avec un dernier coup de pinceau déjanté, juste là où il fallait.
Là-haut, dans un froid polaire, le petit pont enfoui sous la neige attendait sagement l'arrivée encore très lointaine du printemps. Même si quelques promeneurs audacieux l'avaient franchi et laissé les traces de leurs pas dans la neige, il savait néanmoins que la montagne et son glacier altier resteraient presque inaccessibles durant de longs mois. Car ceux qui avaient osé affronter l'ascension avaient été rapidement freinés dans leur élan par une nature bien arrogante à cette saison.
Il n'y avait rien à dire devant ce paysage, juste l'admirer en saisissant avec humilité que la montagne en hiver était bien plus forte et qu'il valait mieux ne pas la défier. D'ailleurs, le silence, presque assourdissant, ne faisait que renforcer notre insignifiance devant un tel spectacle. Aucun animal n'était visible même si quelques empreintes laissaient présager que nous étions épiés avec grande attention.
L'astre solaire, seul dans un ciel azur, ne faisait aucunement fondre les particules de neige et en contemplant cette lumière qui noyait tout dans un mystère insondable, j'ai su, imperceptiblement, que ce jour-là, j'avais suivi ma bonne étoile jusqu'au bout de ton ombre sur le chemin verglacé.
Il y des jours où tout est simple mais profondément essentiel, même si le chamois fougueux reste discret et le sommet rutilant indomptable.
Cliquez et écoutez ce magnifique choeur d'hommes, très apprécié en Suisse romande.
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Dès l'apparition des premiers flocons, la mangeoire était prise d'assaut par les oiseaux: mésanges bleues, charbonnières, à tête noire, huppées, merles et merlettes, geais et même un casse-noix: les prises de bec n'étaient pas rares entre les différentes espèces et elle devait veiller au grain pour faire régner un tant soit peu d'ordre dans le restaurant.
Elle les admirait tous mais attendait avec une impatience certaine le retour des accenteurs alpins. Eux ne venaient picorer que si la neige tombait en abondance. Dès que les tempêtes hivernales étaient passées et que le soleil s'installait pour éclairer d'une blancheur éclatante le manteau neigeux, ils disparaissaient pour ne revenir qu'aux prochaines précipitations d'importance. Tous, sauf un.
Cela faisait plusieurs années qu'il venait lui rendre visite, non seulement pour se sustenter mais aussi pour écouter d'une oreille attentive ce qu'elle lui racontait derrière la vitre. Il s'installait alors tranquillement et tout en admirant le paysage, dans une posture de grand sage, il diffusait ses conseils avisés, tant et si bien qu'elle l'avait appelé Maître Zen.
Maître Zen était beau, comme peut l'être un très bel accenteur alpin. Plus grand qu'une mésange mais plus petit qu'un merle, il était bien dodu, surtout quand il faisait gonfler ses plumes lorsque les températures étaient très fraîches.
Sa gorge blanche était pointillée de points noirs alors que sur ses flancs élégants, de larges flammèches tirant du roux au marron étaient dessinées. Pendant de longues minutes, il restait immobile, contemplatif mais dès qu'elle sifflotait quelques airs connus, il dodelinait de la tête, heureux de pousser lui aussi la chansonnette. Non content d'échanger leurs histoires et quelques notes, un lien indéfectible les unissait car ils aimaient tous deux la montagne. En effet, Maître Zen connaissait le nom de tous les sommets environnants et il pouvait lui décrire par le menu détail les sentiers qu'elle pourrait emprunter là-haut, le printemps revenu.
Mais alors que le grand Hiver recouvrait tout, et pour se remémorer la belle saison, Maître Zen, bien campé sur ses petites pattes, lui contait les acrobaties de ses amis les bouquetins, les facéties des renards rusés, les premiers pas hésitants des faons, les parfums capiteux des fleurs, la danse de la fée des pâturages et la symphonie des cloches des troupeaux sur les hauts plateaux. Rien n'avait de secret pour lui, pas même la mélopée divine de la pleine lune caressant les cimes des sapins ou le chœur des étoiles scintillantes. Il connaissait aussi les cachettes des lutins de la forêt, toutes les cavités des écureuils étourdis et savait comme nul autre décrire les œillades enfiévrées de la biche pour le majestueux cerf, roi de la forêt. Il comprenait aussi tous les idiomes alpins, celui des marmottes, des chamois, sans oublier le langage très châtié de l'aigle royal.
Cette année-là, elle avait eu peur qu'il ne revienne pas car il était déjà bien vieux et
tout le monde sait que les accenteurs alpins ne vivent pas centenaires. Mais dans le courant de décembre, remplie de joie et de gratitude, elle l'avait enfin reconnu dans la bande des joyeux drilles ailés, toujours aussi tranquille et ascète qu'auparavant. Pendant que les plus jeunes de la bande se volaient dans les plumes pour atteindre la mangeoire, il attendait tranquillement qu'une place se libère, pour s'y installer ensuite posément, tel le grand sage qu'il était.
Maître Zen était pourtant peut-être encore plus paisible que les saisons précédentes comme si cette année 2021 avait glissé comme l'eau sur les plumes d'un accenteur alpin. Et lorsqu'elle commença à lui raconter ses peines et ses joies, il l'écouta avec une attention accrue. Puis il prit la parole et lui narra, d'un pépiement dont seuls les accenteurs alpins sont capables, la grande paix qui allait s'installer sur la terre durant la nuit de Noël. Dans ce déferlement de notes cristallines qui s'échappaient du petit bec jaune du grand sage, elle devina une belle lumière briller là-bas, au fond de la forêt, là où les biches disparaissent tôt le matin lorsque les hommes sont encore profondément endormis. Et durant ce long discours qui semblait ne jamais cesser, il lui expliqua que tout serait possible durant cette grande nuit et celles qui suivraient et qu'elle se devait de garder l'espoir, envers et contre tout. Puis, après un dernier sifflotement suprêmement élégant, il lissa ses ailes avec application.
Dans ce geste apparemment si anodin que font tous les accenteurs alpins quand ils sont heureux, elle vit alors que les plumes rousses de son vieux confident étaient recouvertes de poussières scintillantes dont seuls les animaux très rêveurs se parent lorsqu'ils s'approchent de la grande Étoile. Ainsi, la veille de Noël, Maître Zen resplendissait d'or dans le petit matin frais et lui faisait don de cette brillance pour lui rappeler que tout est possible, à condition qu'on y croit très fort.
Le jour de Noël, Maître Zen était encore là, fidèle à son poste, à l'extérieur dans le froid mordant. Pendant qu'il méditait sagement, elle, de son côté, découvrit dans le salon qui fleurait bon le pain d'épice une magnifique surprise. Une délégation des animaux de la forêt accompagnés de Bluette s'étaient en effet rassemblés pour lui présenter fièrement une magnifique Étoile.
Alors qu'elle admirait ce rutilant présent, Maître Zen entonna, de l'autre côté de la fenêtre, une mélopée de Noël ("O Nuit Brillante" en écoute plus haut), reprise en chœur par la troupe des animaux.
Maître Zen est bien réel, je vous l'assure et l’Étoile continuera de briller, indéfiniment, pour mon plus grand bonheur mais aussi pour le vôtre.
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C'est avec ce conte que je vous souhaite, ainsi que Maître Zen, Bluette et toute la bande, de belles fêtes de fin d'année. Et je vous dis à l'année prochaine. Merci encore de votre fidélité à cet espace. Prenez soin de vous.