vendredi 17 novembre 2017

L'immensité glacée



En octobre, j’ai admiré le flamboiement des arbres alentour et la prairie prendre des allures cuivrées. Il y avait je ne sais quoi dans l’air qui me ravissait et qui faisait frémir mes écailles. L’atmosphère était pure et les matins, je contemplais d’ardents levers de soleil sur les montagnes au loin. Selon moi, il n’y a rien de plus beau que ces traînées de rose et de violet peintes par l’artiste de l’aube et même les nuages semblaient eux-mêmes habités par un feu délicatement violacé. Se réveillant avec des exclamations de joie devant ce spectacle majestueux, les lutins de la forêt virevoltaient entre les troncs des arbres et fêtaient en riant les débuts grandioses d’un jour plein de promesses.
 

Puis la première neige est tombée, arrivant sans s’annoncer vers la fin du mois et saupoudrant avec délicatesse le tapis des feuilles mortes. Ayant l’habitude de ces apparitions précoces, je ne me suis pas trop inquiétée car l’automne d’or a repris rapidement ses quartiers. Ne s’avouant pas vaincue pour autant, la blancheur est revenue par petites touches mais à chaque fois, le soleil a scintillé de mille feux afin de la faire disparaître. 
 

Et il y a eu ce dimanche du mois de novembre. Mon réveil avait été délicieux car un vent chaud soufflait doucement, comme s’il voulait revigorer une dernière fois les socles des arbres presque assoupis. Au cours de la matinée, les rayons du soleil ont joué sur le petit sentier traversant la forêt mais un changement imperceptible s’est fait lentement sentir. Quelques rires étouffés ont retenti dans les bosquets et c’est alors qu’a surgi un farfadet bedonnant, coiffé d’un grand bonnet en laine, cachant ses grandes oreilles. Il était chaussé de bottes fourrées et sifflotait une mélodie d’hiver. En l’écoutant, j’ai compris que l’automne allait mourir dans les heures à venir et que la forêt s’endormirait pour de longs mois. La nostalgie s’est emparée de mon cœur, m’envahissant comme un souffle froid. Fermant les yeux, je me suis rappelée les petites mésanges du printemps chantant de joyeuses mélopées et les farandoles des insectes dans les prés de l’été.
 

Toute la journée, j’ai observé la course des oiseaux pressés de se mettre au chaud et j’ai désespérément hélé mon ami l’écureuil. Mais sa queue touffue et sa petite frimousse espiègle ne sont point apparues et je me suis retrouvée seule, perdue dans mes tristes pensées. Peu à peu, de sombres nuages ont envahi le ciel et soudain, une violente rafale a soufflé dans le sapin, me forçant à m’agripper de toutes mes forces à ma branche, secouée en tous sens. En l’espace de quelques minutes, l’obscurité a envahi le bois. Apeurée, je me suis recroquevillée et j’ai attendu la tempête que je pressentais au plus profond de mes entrailles. La neige est arrivée d’un coup, entraînée par de fougueux destriers invisibles, blanche et pure, ravie de danser entre les arbres et de recouvrir en très peu de temps la terre frigorifiée. Toute la nuit, il a fallu me battre pour résister et ne pas être emportée au loin, dans des contrées dont je ne connais même pas le nom. J’ai aperçu un rouge-queue fuir à tire-d’aile pour rejoindre sa cache et une biche et son faon traverser à toute allure le sentier afin de s’abriter.
 

Hurlant à mes pauvres oreilles puis chuchotant comme s’il était fatigué, le vent a soufflé de longues heures durant. 
 

Au matin, épuisée de ma lutte contre les éléments, j’ai enfin ouvert les yeux sur une immensité glacée.
 

Le premier bonhomme de neige de la saison se dressait fièrement dans la clairière et s’agitant à ses pieds, les lutins foulaient le tapis blanc en cadence en chantonnant en hommage à l'immaculée clarté J’ai frissonné, un peu triste de savoir que le froid allait régner en maître les semaines à venir.
 

C’est alors que quelques moineaux ont investi mon sapin pour me conter leurs dernières aventures et j’ai uni ma voix sylvestre à leurs conciliabules enjoués. Puis les notes de leurs pépiements se sont échappées pour s’éparpiller dans les sous-bois, secouant quelques branches chargées de neige et produisant une poudre blanche et brillante. 
 

Scintillement de la neige et douceur ouatée, c’est le renouveau de l’hiver. Et dans la forêt profonde retentit le silence des cristaux. 



Dédé © Novembre 2017

vendredi 10 novembre 2017

Le château

Château de Torrechiara, Province de Parme, Italie


Parfois, je rêve d’une vie de château. 

Franchissant alors un porche façonné dans la pierre depuis des siècles, je pénètre dans une cour intérieure bordée de lourdes et augustes colonnes. Contournant le vieux puits où l’eau dort tranquillement, j’emprunte ensuite un escalier dont les marches, usées par le temps, murmurent les promenades secrètes des amoureux transis. Puis, parcourant une succession de salles, je bascule dans un monde féérique, coloré, peuplé d’animaux fantastiques, d’êtres élégants et de paysages vallonnés. Il n’y a plus d’avant, ni d’après, juste cette sensation de toucher un passé plus que présent.

Puis, le frémissement du vent sur le chemin de ronde chuchote à mon oreille les fêtes somptueuses données jadis dans la grande salle d’apparat. Et soudain, une musique entraînante retentit entre les épais murs de pierre, un fumet de viande apprêtée emplit les couloirs et les rires des convives provoquent des ondes de joie au plus profond de moi. Je sens une main qui m’emporte dans une farandole allègre et au son des tambourins et de la vielle cristalline, je virevolte au milieu de danseurs du temps passé, me regardant en souriant et fredonnant des airs oubliés. Et dans cette ronde enfiévrée, j’oublie tout. 

Ta voix résonne sur la terrasse donnant sur la vaste plaine et ses cultures, avec en arrière-plan une petite chaîne de montagnes mystérieuses. Je reviens alors dans ce présent la tête encore un peu étourdie et en regardant au loin, j’aperçois d’élégantes biches galopant sous les arbres au fond du parc. 

Oui, parfois je rêve d’une vie de château et grâce à toi, le temps d’un voyage, je deviens une princesse dans un château majestueux trônant sur la colline.  



Détails fresque

Dédé © Novembre 2017

vendredi 3 novembre 2017

Première neige




Des vagues de neige 
Sous les arbres envoutés 
 L’automne se meurt 

Dédé © Novembre 2017

vendredi 27 octobre 2017

Conte automnal



Il règne un grand silence dans la forêt que je traverse, à peine troublé par le vent dans les branchages. J’aperçois quelques oiseaux picorant sous les grands arbres et s’amusant avec les ombres projetées au sol. A mon approche, ils s’enfuient en pépiant, dérangés dans leur jeu mystérieux.
 
De rares petites fleurs se prélassent encore au soleil, conscientes qu’il sera bientôt temps de courber la tête aux premiers frimas et de disparaître à jamais. Soudain surgit un écureuil, les pattes chargées des trésors du jour. Il s’arrête un bref instant devant moi, me jauge avec curiosité puis, les moustaches frémissantes, il reprend son labeur en me jetant un dernier regard espiègle. Je jurerai qu’il m’a fait un clin d’œil avant de bondir derrière le talus, sa superbe queue touffue reluisant un court instant dans un rayon de soleil.

Respirant à plein poumons cet air vivifiant, j’observe avec ravissement les montagnes formant une barrière majestueuse au loin. Déjà saupoudrés des premières neiges, elles m’invitent à profiter encore de cette quiétude qui sera bientôt recouverte d’un blanc linceul.

Soudain, je sens que ma jambe est retenue par quelque chose qui me tiraille. Je baisse furtivement les yeux, pensant être accrochée à quelques piquantes brindilles qui parsèment le chemin de-ci de-là. Je reprends ensuite ma marche, décidée à rejoindre le plateau qui se love derrières ces sous-bois. Mais, une nouvelle fois, mon pas est gêné par une pression sur ma cheville. M’arrêtant encore, je ne distingue aucune herbe épineuse qui aurait pu me freiner dans mon élan et étonnée, j’essaie de trouver une explication rationnelle à ce phénomène. Mais aucune déduction plausible ne se présente à mon esprit.  A ce moment précis retentit un petit air siffloté, martelé avec gaité.

Devant moi, un arbre qui me semblait quelques minutes auparavant encore vert change peu à peu de couleur sous mes yeux écarquillés. Ses feuilles devenues d’un or flamboyant projettent des paillettes en tous sens. Un peu plus loin, c’est un mélèze qui scintille de mille feux entre les sapins jaloux d’un si bel apparat. Je retiens mon souffle car ce qui se passe devant moi relève d’un spectacle de magie. En effet, au fur et à mesure de mon avancée sur le petit sentier, les feuillus se transforment, changeant de couleurs, dansant dans une symphonie dorée, comme si une main invisible les transformait en torches ardentes.

Et c’est une polyphonie d’oriflammes qui m’enveloppe peu à peu, les arbres remuant imperceptiblement sur leurs racines comme si une force mystérieuse les secouait doucement. Le petit air siffloté joyeusement s’amplifie alors et la forêt entière se met à battre la mesure, les troncs tanguant et les pives au bout des branches de sapins virevoltant dans le vent. J’entrevois devant un tas de bois fraîchement coupé le petit écureuil facétieux, frappant la terre de la patte droite pour donner le tempo. Un cerf se cache à peine derrière un chêne centenaire, les bois occupés par de minuscules mésanges chantonnant. Heureux de cette animation, les champignons sortent de l’ombre et de leur humidité et entament une petite musette, faisant tournoyer leur chapeau et riant aux éclats. Et tandis que la fanfare de la forêt suit avec entrain sa partition, les arbres poursuivent leur métamorphose.

Alors que mes yeux s’émerveillent de ce spectacle inédit, j’aperçois un chapeau vert et pointu dodelinant entre les hautes herbes. Mais lorsque je tente de m’approcher de cette apparition, un rire étouffé retentit et l’étrange créature que je distingue à peine dans la pénombre des feuillages s’enfuit dans une gerbe de poussière ambrée. Je presse mon allure pour la rattraper mais le chapeau semble me narguer, se dandinant entre les troncs et à son passage, les arbres se penchent, agitant leurs branches et se couvrant de pépites jaunes et rouges. Soudain, la forêt s’élargit pour s’ouvrir sur une vaste clairière. Persuadée que je vais enfin coincer le bonhomme au chapeau dans ce paysage plus aéré, j’accélère le pas. Mais le soleil m’éblouit brusquement et je me retrouve projetée à terre. Alors que les cymbales de la fanfare sylvestre annoncent la coda de la symphonie automnale, comme si elles se moquaient de moi, je reprends lentement mes esprits, déçue de ne pas être arrivée à mes fins. Tristement, je rebrousse chemin, sans avoir pu attraper le petit être mystérieux. 

Le lendemain, assise dans mon fauteuil et perdue dans mes pensées, je me demande si l’épisode du jour précédent était réel ou simplement le fruit de mon imagination. C’est alors que s’élève le même petit air entendu la veille. Me levant très vite et retenant ma respiration, j’aperçois sur la table du salon quelques feuilles dorées posées délicatement sur un lit de mousse odorante. Un éclat de rire résonne. Me retournant en tous sens, je n’ai que le temps de distinguer un chapeau vert et pointu disparaître dans le conduit de la cheminée tandis que quelques feuilles voltigent encore dans l’âtre vide.  

C’est alors que me revient le souvenir d’un conte que me lisait ma tendre Maman. Il y était question d’un petit magicien bedonnant, coiffé d’un chapeau vert et pointu, qui parcourait la forêt l’automne venu. Touchant du bout de son doigt magique l’écorce rugueuse des arbres, il transformait la sylve en un tableau majestueux et mordoré. On l’appelait « l’allumeur d’arbres » et seuls celles et ceux qui avaient gardé un cœur d’enfant pouvaient furtivement l’apercevoir dans les bois. 

Une poussière d’or est restée longtemps en suspension dans mon cœur et dans la cheminée.


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P.S. Ce conte est dédié à ma chère Tilia, qui, j'en suis sûre, a dû rencontrer le petit bonhomme bedonnant lors de ses cueillettes de champignons. 

Et merci à Robert qui m'a inspiré ce texte. Ses photos automnales sont un enchantement.




Dédé © Octobre 2017

vendredi 20 octobre 2017

S'asseoir




S’asseoir et contempler. Respirer à plein poumons et observer le lent mouvement des branches que secoue doucement le vent sifflotant. Ecouter la mélodie du gai cassenoix moucheté qui virevolte entre les arolles centenaires. Percevoir le vrombissement des derniers insectes de la saison, pressés de profiter des rayons encore chauds du soleil. Admirer la lente danse de la feuille dorée qui délicatement se couche sur le chemin mystérieux. Et se laisser emporter par la course des nuages nous menant au-dessus des montagnes. Et peut-être même que si on gravit la surface moutonnée de ces géants qui sillonnent le ciel, on verra la mer. 

J’ai toujours affectionné l’automne. Petite fille, je me réjouissais de voir les arbres jaunir et de partir en quête des feuilles d’or afin d’en faire des bouquets colorés. J’aimais voir la désalpe des vaches et des moutons qui traversaient fièrement le village, les yeux pétillants, sonnailles joyeuses et l’estomac repu des bonnes herbes salées des alpages supérieurs. Et l’odeur du bois fraîchement coupé par le bûcheron dans les forêts voisines titillaient mes narines. Les automnes étaient frémissants de bonheur avant la neige dont on rêvait secrètement en s’imaginant dévaler les pentes sur nos luges bondissantes. 

Avant le long repos hivernal, l’automne bruisse de mille feux. La terre ralentit sa respiration et le cœur de l’homme, s’accordant avec le souffle de la nature, s’affranchit de tout le poids qui leste son quotidien. Calme et énergie circulent alors librement dans tout le corps et les yeux prennent le temps de s’émerveiller de la beauté magique de cette saison capiteuse. 

S’asseoir et contempler. Prendre le temps. Ralentir. Aller à l’essentiel. Et saisir à deux mains les doux rayons du soleil qui rendent ces journées si lumineuses. 

Laissons parler la nature qui a tant à nous dire et s’amuser le peintre de l’automne qui, pendant quelques jours encore, enchantera avec ses pinceaux virevoltants la robe satinées des arbres. Et quand la terre se vêtira de blanc l’hiver venu, nous nous réchaufferons en nous remémorant le fin frémissement des herbes folles et le joyeux pépiement des oiseaux dans les arbres de la forêt. 

Un souffle passe. Quelque chose nous dépasse. Et la vie simple culmine dans ces fragiles instants de bonheur. 







Dédé © Octobre 2017

vendredi 13 octobre 2017

Changement



Il y a des étapes à franchir dans la vie. Des décisions à prendre. Des pages à tourner.

Après un été très difficile, j’ai décidé de changer de lieu de vie. De quitter la ville car plus rien ne m’y retenait, même plus une activité professionnelle aujourd’hui terminée de manière abrupte, me laissant un arrière-goût amer et un combat à mener pour faire rétablir la justice. Et je suis revenue là où sont mes racines.

Entre les arbres et la montagne, je me fraie un chemin intérieur et j’inspecte mes aspirations. Je reprends des forces. Je contemple le lever du soleil tous les matins sur des sommets majestueux et j’espère que la lumière, diffuse encore entre les troncs, va éclairer ma vie d’un jour nouveau, chassant les sombres nuages qui avaient envahi trop longtemps mon ciel.

Oui, il y a des pages à tourner pour écrire un nouveau chapitre. Rien n’est encore acquis et la lutte va être longue. Mais ce petit oiseau qui vient me rendre visite sur le bord du balcon me chante la joie des arbres se parant de mille couleurs pour le grand bal de l’automne.

Je vais composer une nouvelle partition, une symphonie de notes enfiévrées qui retentissent déjà au fond de mes entrailles. Et je sais que, comme depuis le début, tu me guideras avec ferveur sur le chemin du bonheur.  


Pour la première fois depuis très longtemps, je sens que je suis enfin là où je dois être. Et je cueille les feuilles d'or.




Dédé © Octobre 2017

dimanche 1 octobre 2017

1 An

Glacier d'Alestch, Suisse



Au fil des saisons
Tresser des liens sur la toile
Rencontres inédites



Une année déjà que cet espace est ouvert. J'ai voulu en faire un lieu de rencontres et d'échanges. J'ai partagé avec vous mes escapades, mes photos et mes textes. Et j'ai eu du plaisir à vous retrouver à chaque billet.
 

Merci pour votre présence, pour tout ce que vous m'avez offert et qui est si précieux. Vous n'imaginez pas ce que cela représente de vous savoir fidèles et désireux de laisser vos impressions.

Je souhaite que la belle aventure continue mais elle ne peut se faire sans vous. Alors continuons à nous laisser surprendre par nos rencontres et faisons place à la magie des découvertes à travers la toile qui nous relie les uns aux autres.  C'est ce qu'exprime cet haïku de circonstances.
 

J'ai choisi, pour la photo du jour, une prise de vue du glacier d'Aletsch, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Lors de cette randonnée en montagne, j'ai ressenti une grande quiétude et une connexion quasi mystique avec les montagnes environnantes. L'alliance entre la pierre, la glace et une superbe forêt d'arolles centenaires était très émouvante et m'a apporté une grande force intérieure. C'est la magie de la montagne que je retrouve chaque fois avec un indicible plaisir lorsque je m'élève.

En admirant de telles beautés, on ne peut que s'extasier de ce que la nature nous offre, ici ou là. Mais elle est fragile et il est de notre devoir de la protéger mais aussi de respecter notre semblable. L'un ne va pas sans l'autre.

J'espère ainsi que nous continuerons à échanger nos impressions sur le monde qui nous entoure encore longtemps, dans un souci de curiosité et de respect, par des textes, des photos, de la musique. Comme des respirations dans un quotidien parfois bien trop pesant.


Merci à toutes et tous!

P.S. Mon accès internet est limité pour quelques jours. 



Dédé © Octobre 2017