vendredi 3 octobre 2025

D'ancrages et de résonances (3)

 


Parce que certaines émotions ne passent que par le chant, voici une musique sami, humble offrande à la terre, à ceux qui la lisent, à ceux qui la chantent et la laissent respirer. (Artiste Wimme Saari)

 

Après l’archipel de Stockholm, où une part de mon intériorité m’avait été rendue, la dernière étape devait enfin me conduire là où je serais entière : en Laponie. J’en rêvais depuis si longtemps. Il était temps de s’y perdre, là où la poésie s’enroule à la terre, se reflète dans les lacs, se fige dans les neiges éternelles.

Depuis Luleå, la terre se déploya vaste et infinie, comme une page où s’inscrivait une mémoire plus ancienne que le monde. Pendant quatre heures, la route dévora les kilomètres, bordée de forêts d’épicéas, de pins et de bouleaux, interrompues seulement par des lacs surgissant entre les troncs. Parfois la pluie tombait, lavant l’air et transformant la chaussée en miroir ; puis le soleil revenait, cru, ciselant les couleurs et allongeant les ombres.

Ce trajet vers le Nord prit l’allure d’un voyage initiatique. Peu à peu, j’eus la sensation de cheminer en moi-même, la Laponie ouvrant aussi mes profondeurs.
Kiruna m’a accueillie comme si j’avais franchi une frontière invisible, dernier seuil avant le basculement vers les pôles. Ce soir-là, depuis le bar de l’hôtel, j’ai contemplé le soleil de minuit à travers une valse de nuages. Le temps s’était effacé, incapable de tenir sur les fjälls (montagnes en suédois). Il ne restait que la lumière, ce fil d’août qui hésite à tomber, et le silence, total, qui rend au monde sa juste mesure.

Abisko : porte des fjälls

Le lendemain s’imprima dans mes pupilles comme une encre vive. Après l’urbanité de Kiruna, la route vers Abisko semblait avaler le monde pour ne laisser que l’essentiel. Plus au nord, où la neige s’accroche encore aux sommets, l’air avait changé. Le vent s’était levé et tout paraissait plus dense, comme si la terre avait durci ses contours pour marquer un seuil. Long miroir glacé, le Torneträsk accompagna une grande partie du trajet, tandis que les reliefs se redressaient et que la montagne, peu à peu, imposait sa présence. Là où tout ondulait encore, les sommets surgirent, tranchants avec de la neige encore accrochée aux arêtes même en août.

Marcher dans le parc national d’Abisko, ce fut comme entrer dans une autre loi du réel. Rien de décoré ni de mis en scène : seulement des sentiers creusant la mémoire, des rochers gardant la rumeur du vent, des mousses épaisses, des lichens pâles. Et cette quiétude, dense, presque palpable. Le souffle, sans détour, tranchait les pensées, polissait les contours, laissait l’âme nue. Les lacs, plats et glacés, reflétaient une clarté liquide. Bondissantes entre les pierres, les rivières turquoises soulevaient un tumulte qui emplissait l’air. Partout régnait une tension minérale et végétale.

Puis l’ouverture surgit : le cirque de Lapporten, telle une main qui soulève et qui ancre à la fois. À cet instant, le paysage ne se contentait plus d’être vu. Il absorbait. Une fébrilité discrète nous accompagna, semblable à celle que l’on ressent quand la nature abrite ce qui échappe au regard. L’idée des ours rôdait, non comme une menace mais comme un rappel : nous étions minuscules, seuls, et profondément vivants.

Abisko offrit un cadeau rare. Une place qui ne s’imposait pas mais se réajustait. Là-haut, un espace s’est ouvert, sans bruit ni geste et cela m’a submergée. Le Nord avait inscrit en moi sa manière de tenir, de résister, de respirer.

De retour à Kiruna, j’ai senti qu’une part de moi était restée là-bas, suspendue aux crêtes et au vent d’Abisko. Pourtant, la ville imposait son attention. Kiruna, ville en glissement, montrait sur ses façades les signes d’un déplacement en cours : quartiers promis à d’autres terres, maisons démontées, une église bientôt réinstallée ailleurs. Comme si l’histoire se redessinait sous les pas.

Ce glissement n’était pas qu’urbain. Il trouvait sa source plus profondément, dans les entrailles de la terre. En moi, le silence des fjälls continuait de résonner, alors que je m’apprêtais à plonger sous la surface minérale pour visiter le complexe minier. La mine LKAB ouvrait un monde à la fois fascinant et inquiétant : l’ingéniosité humaine et la précision des galeries côtoyaient des cicatrices qui défiguraient le paysage et déplaçaient des vies. Kiruna semblait incarner cette contradiction, où le progrès spectaculaire se heurte à la fragilité souterraine.

Regarder la mine imposer sa géométrie, c’était mesurer la double face du progrès : créateur et vorace, innovant et destructeur. Une tristesse respectueuse s’installait, pour ce qui s’efface lentement, en silence, mais pour toujours. L’extraction grignotait les monts, interrogeait la solidité des sols, menaçait des territoires sacrés. Et partout se posaient des questions éthiques : le sort des Samis, leurs routes de vie déplacées, bousculées, parfois dissoutes par un appétit minier qui sacralise la rentabilité au détriment de la continuité culturelle.

Jokkmokk :  le musée comme cœur battant

Cette émotion liée à la terre a gagné en intensité dans le musée sami de Jokkmokk. Entre ses murs, un murmure habité flottait. Les objets parlaient bas : textiles, bois, peaux, outils de migration, posés comme des proverbes. Chaque vitrine devenait conversation avec la terre. Les filaments de mémoire traçaient les routes des rennes, les photographies murmuraient les saisons, les projections restitaient un rythme de vie inscrit au sol.

J’ai adoré découvrir le savoir-faire des Samis, leur art de faire avec la nature, de chanter les brises et les neiges, de tisser les gestes dans le paysage. Mais ce qui m’a bouleversée, c’est la fragilité dans laquelle ce peuple vit encore, dernier en Europe à ne pas être totalement sédentarisé, dernier à porter dans son corps une géographie mouvante. Le musée m’a transmis cette idée que l’ancrage n’est pas immobilité mais relation : tenir la terre en gestes et en chansons, savoir migrer sans se dissoudre.

Dundret : belvédère et respiration

Après la richesse silencieuse du musée, le souffle de Dundret me tendait les bras, offrant à la fois recul et ouverture sur la Laponie entière. Là-haut, presque aucun arbre ne pousse ; la toundra s’est installée dans l’haleine puissante et l’âpreté du sol. Et pourtant, c’est depuis ce dénuement que le regard embrasse tout : forêts en nappes, lacs épars, plaines silencieuses, un paysage entier, offert à perte de vue. Là-haut, j’ai absorbé la mesure du monde, modelant ma respiration sur la cadence du vent. Je suis revenue avec une clarté intérieure qui tiendra peut-être une vie entière.

Stora Sjöfallet : couronne finale

Arriver à Stora Sjöfallet, c’était retrouver l’intensité d’Abisko, mais amplifiée. Les massifs primitifs se dressaient, leurs arêtes blanches lacérant le ciel bas. La neige persistante sculptait les plis des montagnes. La lumière rasante, fil d’argent sur chaque aspérité, brûlait autant qu’elle apaisait. La terre offrait sa mémoire : le ciel se reflétait dans les lacs, les pierres portaient des alphabets éternels, prêts à être lus.

Les Samis, invisibles et pourtant présents, faisaient corps avec le lieu. À travers leurs gestes, la terre se racontait. Par leurs chants, des cartes occultes se dessinaient. Dans leurs regards, les saisons se lisaient dans la rugosité des rochers.

Le vent ordonnait la pensée, les couleurs vibraient entre pierres, tourbière, eau, neige. Marcher là ne relevait plus de l’exploration mais de la redéfinition de soi : se laisser redimensionner, dépouiller, par une grandeur qui rendait à l’humain sa juste place.

Stora Sjöfallet n’a pas été une apothéose mais une révélation silencieuse. La terre tenait, les hommes y répondaient et une vibration intime s’est déposée, chargée d’un accord millénaire. Après la parole basse du musée et le souffle rude de Dundret, ce lieu m’a offert une forme de réponse. Enfin, j’étais. Et je serai.

Le Nord avait inscrit sa mémoire en moi. Alors que la route s’inclinait vers le Sud, chaque paysage semblait me dire au revoir, et me rappeler que tout voyage porte en lui un retour nécessaire. À l’approche du cercle polaire, un renne traversa la route avec une élégance tranquille, comme une ultime révérence. Mon cœur se serra. Il nous saluait gravement au nom de tous ceux que nous avions croisés durant ce périple, mais aussi au nom de la Laponie entière, porteur muet d’un adieu éternel. Mes yeux s’embuèrent de reconnaissance devant ce signe du destin.

Avant Luleå, un arrêt s’imposa à Gammelstad. Ville-église où le temps semblait tenir dans les murs, au milieu des rues serrées et des maisons rouges anciennes qui portent les saisons comme un nom de famille. Ce passage ne fit que renforcer l’ancrage de ce voyage dans la terre.

Puis, dernière étape, Luleå s’étendait sur les bords de la mer. Les reflets des maisons dans l’eau conclurent cette traversée de la Suède. Le dernier soir, le soleil tomba doucement dans la mer, sans bruit, sans éclat. Juste cette clarté du Nord qui disparaît mais ne s’efface jamais.

Le vol du retour fut presque un déracinement. Les fjälls habitaient encore mes yeux, leur éclat vibrait dans mes veines et au creux de ma poitrine, une ancre silencieuse tirait vers le Nord. La Suède m’avait traversée et la Laponie m’avait redonnée à moi-même.

Epilogue

Aujourd’hui, me reviennent les mots d’un poète sami : « Tout cela est ma maison — ces fjords, ces rivières et lacs, le froid, la lumière et la rudesse du climat, la nuit et le soleil des étendues sauvages, la joie et la tristesse. Toutes ces choses sont mon foyer et je les porte dans mon cœur. Ils disent tout : l’appartenance, le lien ancien entre l’humain et la terre, la capacité de la nature à consoler et à respirer avec nous. Résonnant avec mes Alpes, ils retrouvent cette luminescence qui calme, cette rudesse qui façonne, ce silence qui contient. Ce que j’ai vécu en Laponie, je le retrouve dans mes montagnes : la force des crêtes, le murmure des forêts, la clarté des lacs, l’intime résonance entre ciel et pierre. Là-bas comme ici, la terre me parle et je l’écoute.

Ce voyage ne m’a pas seulement menée vers le Nord. Il a tracé une géographie intérieure, faite d’ancrages et de résonances. Cathartique, il m’a appris à tenir sans retenir, à suivre sans me perdre et à répondre à la terre sans jamais chercher à la dominer.

Maintenant je suis prête.

Et je reviendrai.

 

P.S. Merci d’avoir lu jusqu’au bout. Ce voyage m’a réaccordée à la terre, à sa rudesse, à sa lueur. Mais surtout, il m’a bouleversée par l'empreinte silencieuse des Samis, leur manière de tenir, de migrer sans se dissoudre, de lire le monde avec recueillement. Une partie de moi s’est dénouée là, que je ne peux pas encore expliquer. Un jour peut-être. Pour l’instant, je respire. Mais il fallait que j’exprime tout ceci en lui donnant cette ampleur.

 Dédé@Octobre 2025

vendredi 19 septembre 2025

D'archipel et d'intériorité (2)

 


Après le souffle retrouvé dans la ville, il ne s’agissait plus seulement de respirer : il fallait se laisser porter. Là où l’air ouvrait les poumons, l’eau dessinait les contours. Dans l’archipel de Stockholm, j’ai compris que l’apaisement ne se conquiert pas mais qu’il se traverse.

Tous ces bateaux qui venaient et repartaient des ports de la cité semblaient inviter au large, vers l’ailleurs, vers cet archipel dont chacun revenait transformé. Ce jardin d’écueils déployait une diversité naturelle infinie : on pouvait voguer entre les îlots couverts de végétation luxuriante, ou glisser le long des falaises nues, battues par les vents du large. Les 30'000 îles, rochers et pierres brisées, m’interpellaient comme des fragments d’un monde à déchiffrer. Il était temps de lever l’ancre et de partir aux confins des terres, là où l’eau devenait peu à peu promesse et l’horizon, appel.

Ainsi, après avoir quitté les rives de Stockholm, j’ai basculé dans un autre monde. Face aux éléments, je me suis retrouvée dans un espace où seules les terres émergées, posées ça et là comme les pièces d’un puzzle trop complexe à assembler, semblaient dessiner une géographie intime. Sur des eaux tranquilles, lentement, le bateau glissait sans volonté. Peu à peu, éparses, les confettis rocheux apparaissaient, couverts de forêts, ponctués de maisons de bois rouge ou de teintes pastel, comme des touches délicates sur une toile nordique.

Vaxholm : le calme apprivoisé

Après une heure de traversée, Vaxholm surgit, petite bourgade hors du temps, baignée d’une lumière d’abord grise, puis dorée. Les maisonnettes coquettes et les jardinets soignés composaient une harmonie discrète, fidèle au lagom, cet art suédois de vivre dans la juste mesure. Une légère déception m’effleura cependant : trop de maisons, trop de présence humaine. Je cherchais autre chose.

Alors j’ai marché. La forêt m’a accueillie comme elle le fait toujours, sans bruit, sans condition. Les pins m’ont embrassée, leurs branches s’entremêlant au-dessus de moi comme des bras bienveillants. Là, les corps ne s’opposaient pas à la nature : ils s’y fondaient. Chaque pas me rapprochait d’un silence habité, d’une familiarité douce. Ici, les arbres semblaient pousser à vue d’œil, et toucher le ciel sans effort. Tout près, la mer, se prélassait, comme une grande sœur qui abreuve, qui veille et qui murmure. Dans mes Alpes, l’eau ne borde pas les forêts ainsi et cette proximité m’a émue.

Effleurant les cimes, avec ce son si doux que je reconnais entre mille, le vent me parlait. Et moi, en suspension sur le sol spongieux, je l’écoutais. Ce parterre-là ne résistait pas : il épousait mes pas, comme s’il battait au rythme de mon cœur.

Mais confusément, je le pressentais : il me fallait plus encore, une solitude élargie, un lieu qui ne se partage pas. Être seule avec la nature, délivrée des murmures humains et des rumeurs de moteurs. Un lieu où la pulsation demeure continue, où le calme n’est plus parenthèse mais profondeur.

Grinda : refuge charnel et spirituel

À Grinda, autre île mystérieuse, l’immobilité sonore m’accueillit pleinement. Le silence vibrait de souffles, de craquements et de bruissements. La brise traversait les ramures tandis que le ressac chantait, et mes pas, eux, froissaient la mousse humide. Ce langage muet me toucha au plus profond : j’avais l’impression d’être seule sur une île déserte, exploratrice d’un monde perdu. Pourtant, ce n’était pas véritablement une retraite : le lieu semblait m’attendre, comme si nous nous étions espérés mutuellement. Ce fut un partage subtil, un va-et-vient amoureux mêlant sucs et présences invisibles. Charnelle et spirituelle à la fois, la rencontre se noua.

Dans la forêt, mon cheminement a trouvé son rythme alors que les vagues butaient tranquillement contre les falaises. Le liquide et le solide ne faisaient presque qu’un et moi, entre les deux, je glissais. M’entourant, les pins chantaient dans le vent du large pendant que des fleurs mauves ponctuaient le tapis végétal comme des éclats d’un éternel été. Au loin, les voiles de navires inconnus passaient lentement, comme autant de promesses de voyages et d’infini.

Le promontoire, escarpé et fuyant, se dérobait sous mes pas, réclamant une écoute attentive et une révérence silencieuse. Le sol, humide, semblait garder le secret du lieu, testant discrètement ma volonté. Puis, sans prévenir, l’ouverture sur la mer apparut, telle une clairière suspendue au-dessus du monde. En surplomb, je restai cachée, presque invisible. Les îles alentour, disposées sans logique apparente, flottaient dans une harmonie que seule la nature sait composer, une géométrie libre, intuitive, offerte.

Au-dessus de ce spectacle s’étendait un ciel gris, chargé d’une densité douce, presque tactile. Drapant le paysage d’une étoffe silencieuse, il ajoutait à la fois à sa beauté sauvage et à l’intimité féconde du lieu. Tout respirait à l’unisson : les pins, les rochers, les gréements lointains et moi, j’étais immobile, en communion dans cette parenthèse suspendue.

Alors les tensions se relâchèrent, presque sans effort. L’eau, comme une mémoire liquide, m’enveloppa, tandis que l’haleine du monde me portait et soufflait des fragments d’un avenir meilleur. Ici, tout devenait plus profond, plus nu, plus extatique.

Mais il fallut s’arracher à cette terre posée sur la mer. Sur le quai, le bateau semblait savoir, en me voyant revenir, que je n’étais pas tout à fait prête à repartir. Je montai à bord avec cette lenteur des départs qui refusent d’en être, et contemplai une dernière fois ce paysage enchanteur. Déjà Grinda s’effaçait, mais en moi, elle resterait proche à jamais : une île intérieure, un lieu désormais habité.

Le retour : mémoire du flux, empreinte intérieure

Le retour vers la ville ne brisa pas le lien avec les îles. Il se dissolut doucement dans le velours du retrait. Escortée par l’eau, comme une réminiscence vaporeuse, j’entendais dans chaque vague le même murmure : « Tu peux revenir, mais tu ne reviendras pas tout à fait la même. »

Peu à peu, Stockholm se redessina, avec ses ponts, ses façades et ses reflets familiers. Et en moi, je percevais confusément un léger déplacement. Le souffle retrouvé dans la ville autrefois trouvait maintenant son prolongement dans les ondes maritimes de l’archipel : une respiration étendue, qui ne cherche ni à avancer ni à revenir, mais simplement à être. Cette traversée entre les terres et les flots avait laissé un murmure ineffable, d’une force pourtant prégnante. Il fallait en conserver la leçon pour en saisir la signification profonde.

Le courant marin ne s’était pas imposé. Circulant, il avait traversé paysages, pensées et émotions avec une constance douce. Dans l’archipel, il s’était incarné dans chaque passage entre les terres, dans chaque suspension sonore entre deux rives, dans chaque battement d’eau contre la coque. Il m’avait portée tout en me laissant intacte, ouverte tout en me préservant. Chaque particule de terre avait offert un rythme et une cadence qui enveloppaient sans pousser. Les pulsations fluides et les voiles en filigrane m’avaient enseigné à circuler autrement, sans but précis, détendue, dans l’attente de rien.

Dans cette mutation éthérée, quelque chose s’était déposé en moi. Ce n’était pas encore un ancrage, mais une aspiration nouvelle, façonnée par le rythme des îles et le murmure des eaux.

Ce périple m’a offert une traversée d’archipel et d’intériorité, où chaque île rencontrée a dessiné les contours d’un espace intérieur en devenir. Mais il fallait poursuivre le chemin, même si une part de moi avait déjà commencé à s’incarner.



Dédé@Septembre 2025

vendredi 5 septembre 2025

De naufrages et d'horizons (1)


Après un printemps en apnée, j’ai suivi un souffle venu du Nord.

Voici la première partie du récit d’un voyage qui m’a permis de réapprendre à respirer.

Le départ : quitter le cocon

Le printemps avait été chaotique, et la fatigue accumulée m’avait retenue dans le cocon de mes montagnes. Quitter mes Alpes valaisannes me semblait dès lors presque impossible : ma valise pesait bien plus que quelques effets personnels, elle contenait mes peurs, mon besoin de refuge, ce confort silencieux des hauteurs qui mentourait et me protégeait.

Pourtant, un appel intérieur s’est fait entendre, discret mais tenace : celui du Nord. Mon père mayant transmis depuis toujours cet amour pour ces latitudes lointaines, mes souvenirs heureux des Highlands, de lIrlande, des Cornouailles, de la Norvège et de toutes mes précédentes visites nordiques mont ainsi poussée vers lailleurs. Alors, jai cédé et franchi la barrière de mon anxiété.

Je me suis élancée, laissant derrière moi l’altitude rassurante de mes montagnes pour gagner la latitude des grands espaces, où l’air et l’eau promettaient échappée, lumière et perspectives nouvelles. 

La première étape de mon périple fut de déposer ma valise sur les rives où la Baltique s’unit au lac Mälaren, là où l’eau salée et l’eau douce se mêlent en un dialogue tranquille. À Stockholm, Venise du Nord et capitale royale, je suis devenue spectatrice du ballet des eaux et des architectures, où la clarté caresse chaque façade et chaque reflet.

Stockholm, la Venise du Nord

En traversant la ville depuis la gare, les flots omniprésents entre les quatorze îles m’ont tendu les bras et j’ai été saisie par le ballet incessant des bateaux, l’élégance des façades, la sensation d’une inspiration constante qui accompagnait mes pas. La ville semblait rêvasser au bord de l’eau, paisible et tranquille, et pourtant pleine de vie, jamais oppressante : chaque instant invitait à la contemplation.

Skansen et Skeppsholmen : mémoire et mer

Mes premiers pas à Stockholm m’ont menée au Skansen, sur l’île de Djurgården, ce musée en plein air où les maisons traditionnelles suédoises racontent le quotidien des siècles passés. Chaque bâtiment, chaque artisanat semblait vivre au rythme de l’île, bercé par les eaux calmes alentour. Les jardins et les grands espaces invitaient à la flânerie, à la respiration d’un temps étendu, loin de l’agitation de la ville.

Après cette quiétude, le vent m’a entraînée sur Skeppsholmen, où des embarcations majestueuses ou toutes timides dormaient dans le port, après leurs traversées mythiques. Le bois parfaitement poli de leurs ponts murmurait encore les histoires des vagues affrontées et chaque voile repliée gardait le souvenir des tempêtes et des horizons parcourus. Les noms des navires contaient des périples impossibles et les gouvernails, maintenant au repos, reprenaient encore le chant des sirènes. Tout respirait la mer, Ancres et focs participant à cette évasion silencieuse. Ce n’était pas un cimetière de bateaux mais des bâtiments encore vivants de leurs exploits, même s’ils se reposaient à quai.

Gamla Stan : le cœur battant

Puis vint Gamla Stan, le cœur médiéval de Stockholm, où la cité s’est développée grâce aux liens commerciaux avec les villes de la ligue hanséatique. Ses ruelles étroites, ses places pavées et ses façades colorées, rouge, jaune, rose et brun, décrivaient chaque négociation, chaque pas des marchands et des marins d’antan. La foule y était dense mais le front de l'eau offrait un instant de pause : il reflétait les maisons comme un miroir de leur histoire.

Décidément, la ville vivait au rythme de ses îles, de ses ports et de ses bateaux, toujours en dialogue avec les ondes de la Baltique et du Mälaren, et cette présence vivante m’a accompagnée jusqu’au musée Vasa.

Les musées : naufrages et résonances

Au musée Vasa, j’ai croisé un silence chargé d’échos devant l’épave du géant de bois, englouti à peine une heure après son départ de Stockholm en 1628. Le vaisseau semblait encore retenir son haleine. Devant sa coque sombre, ses sculptures figées et la proue de lion figée dans une gloire interrompue, j’ai senti un frisson me traverser — non pas de peur, mais de reconnaissance. Le Vasa portait en lui les rêves trop lourds d’un roi, l’orgueil d’un monde qui croyait dompter les éléments. Mais l’eau ne se plie pas. Elle accueille, elle engloutit. Ce navire, majestueux et vulnérable, m’a rappelé que toute traversée porte en elle la possibilité du naufrage. Et que parfois, il faut sombrer un peu pour apprendre à respirer autrement.

La même intensité m’a rattrapée dans un autre musée, dédié à la Baltique et à ses drames. On y diffusait les voix des capitaines venus secourir l’Estonia, ce ferry englouti en 1994. Des voix tendues, précipitées, suspendues dans l’attente — puis plus rien. Un silence lourd, comme une porte qui se referme trop vite. Dans cette salle, j’ai éprouvé le poids des eaux nordiques, ces étendues qui façonnent les peuples autant qu’elles les éprouvent. Le Vasa, l’Estonia : deux engloutissements, deux époques, mais une même leçon. L’eau ne distingue pas la grandeur du projet ni la modernité du navire. Elle rappelle, inlassablement, que toute puissance est vulnérable. Et qu’après chaque tempête, il faut réapprendre à inspirer, dans l’histoire comme en soi.

Södermalm : ouverture bohème

À Södermalm, j’ai découvert un autre visage de cette cité insulaire, créatif, bohème, léger. J’ai aimé me perdre dans ses ruelles animées, glisser entre ses jardins secrets. Mais ce sont surtout ses quartiers préservés, ponctués de maisons rouges ouvertes sur le ciel et le large, qui m’ont touchée au plus profond.

Ancien repère de marins et de pêcheurs, Södermalm respire encore le ressac des vagues. Le vent qui glisse entre les murs semble reprendre les chansons à boire, et fait remonter à la surface les expéditions risquées vers des terres lointaines, encore vierges.

Là, j’ai senti que la ville appartenait vraiment à ceux qui l’habitent. Qu’elle battait à son propre rythme, loin du flot des touristes. Et dans cet élan urbain, cette mer toujours présente, la clarté du Nord a susurré au fond de mon cœur des aventures infinies.

Je m’y suis sentie à la fois étrangère et pleinement accueillie. Comme si Stockholm, dans sa radiance douce et sa mémoire salée, m’autorisait simplement à être moi-même.

La lumière du Nord : une révélation

Durant ces quelques jours de découvertes, la lumière nordique m’a enveloppée, baignant Stockholm d’un éclat particulier, surtout le soir : douce et vive à la fois, elle caressait les façades, jouait sur les reflets de leau et donnait aux perspectives une profondeur que seules la mer et les montagnes savent offrir. Comme dans mes Alpes, où laltitude nous rend humbles et vivants, ici les ondes marines rappellent que lhumain ne peut que se laisser porter par la puissance des éléments. Elle offre respiration, immensité et humilité, faisant écho aux naufrages intérieurs, à ce repli où tout semble englouti et perdu à jamais.

Stockholm m’a paru ouverte au monde. Les drapeaux arc-en-ciel flottant sur les bâtiments, l’hôtel de ville qui accueille la cérémonie du prix Nobel, le sentiment que chaque coin de rue pouvait accueillir l’autre, le différent, tout m’a donné l’impression d’une ville généreuse, où curiosité et tolérance façonnent le quotidien. Ici, la vastitude n’est pas seulement celle de l’eau : elle est celle de lhumanité. Dans un monde qui parfois se recroqueville sur lui-même trop facilement, où la peur et le doute enferment individus et sociétés, Stockholm se tient encore comme un souffle d’ouverture. La belle rappelle qu’une ligne lointaine existe toujours mais qu’il suffit peut-être de respirer profondément pour retrouver sa place dans le monde, après les dérives intimes comme après les tragédies collectives.

Vers l’archipel : l’horizon comme promesse

À mesure que mes pas me guidaient vers les quais et les ponts, vers les musées et les terrasses agréables de l’été, l’appel de l’archipel se faisait cependant sentir. La cité, par son éclat magique, la Baltique et ses secrets, semblaient me rappeler que chaque cap est une invitation, que chaque île, chaque bras ondé, est une ouverture vers l’ailleurs. Dans des sociétés qui sombrent peu à peu dans le cloisonnement, ces îles apparaissaient comme des pouls puissants, des promesses d’espace et de liberté.

Bientôt, je suivrai alors ce chemin vers ces écueuils où l’eau deviendra encore plus vaste, où le bruissement des flots portera le regard au loin, et où la découverte, comme ici, se vivra au rythme de l'âme et du cœur, loin des dérives passées et des confinements intérieurs.

Stockholm m’a conté un chant d’eau et de lumière, un murmure venu du large qui m’a appris à respirer autrement. En quittant mes montagnes, j’ai trouvé un autre sommet — celui de l’horizon. Ici, chaque île est une promesse, chaque reflet une réconciliation. Et dans ce souffle nordique, j’ai compris que l’ailleurs commence là où le cœur s’ouvre, même après les tempêtes et les voiles rabattues.

C’est là, entre naufrages et horizons, que le souffle retrouvé s’est fait fragile, mais vivant.



Dédé@Septembre 2025

mardi 1 juillet 2025

Géographie de présence

 


Me voici donc face aux montagnes, et comme le chalet en bois en contrebas, je contemple en silence. Au-dessus de moi, l'air est bleu et blanc, dessiné par ces nuages à l'humeur changeante. Au creux des herbes encore printanières, dans les fleurs et les abeilles bourdonnantes, lentement, tout doucement, je trace un sentier intime en moi. Je poursuis cette quête de la montagne — ses humeurs changeantes, ses rochers farouches, ses alpages apaisés et ses eaux pleines de la mémoire de glaciers toujours plus timides. 

Aller dans la montagne, grimper d'abord dans les pâturages puis entre les cailloux aiguisés, c'est comme un voyage en soi.

Je le poursuis, inlassablement, avec rage parfois mais tendresse souvent. C'est une géographie de présence. 

Et là-haut, dans le ciel, un nuage, coulant sur ma joue comme une larme inversée, continue de me caresser le visage. 

Je suis. Encore. 


"Ouvrir les yeux est un antidote au désespoir".  (Sylvain Tesson, Petit Traité sur l'immensité du monde, 2005)


P.S. Ce printemps m’a atteinte dans le corps et l'âme,  jusque dans les repères que je croyais encore solides et que j'avais péniblement mais avec foi reconstruits. Et les mots se sont presque tus, happés par la fatigue et le doute.

Alors je m’arrête. Ce blog entre en silence estival, posé comme une pierre sur le bord du sentier. Il faudra encore du temps pour retrouver l’élan, rebâtir l’intérieur, pierre par pierre, souffle après souffle. Mais quelque part, dans la faille, une lumière persiste.

Merci d’avoir été là, dans l’ombre portée de cette montagne intérieure. Je vous retrouverai,  là où les sentiers se croisent encore. Prenez soi de vous. Dédé


Dédé@Juillet 2025

vendredi 6 juin 2025

La grande peur dans la montagne



Préambule: Ce texte est émaillé d'expressions typiques du vocabulaire valaisan - valaisan francophone je précise car le haut-valaisan, c'est incompréhensible. Pour la signification des expressions, regardez le lexique en fin de texte.

Cliquez aussi sur les liens, écoutez la chanson. C'est un tout. 


******La grande peur dans la montagne. C'est le titre d'un livre de Charles-Ferdinand Ramuz, paru en 1926. Mais ce jour-là, mercredi 28 mai 2025, la peur s'est à nouveau invitée. À 15h25. De manière terrible et particulièrement traumatisante. 

Auparavant, tout semblait figé, comme si la montagne retenait son souffle. D'abord une fissure. Minuscule, insignifiante. Puis un grondement, sourd, montant du cœur de la roche. Enfin, l’effondrement. Brutal. Irréversible. La montagne s'est écroulée, puis le glacier et un amas de pierre et de glace a dévalé la pente pour recouvrir les habitations en contrebas. 

-"Le glacier, il est parti à botson!

- "Quoi? Ça va l'chalet ou quoi? T'as choppé la foudre ou bien?!"

- "Mais si, tu vois comment!"

- "T'avais où les vaches ??"

- "Parties l'autre jour, héliportées grâce à Air Glacier! Mais t'as vu en haut-dessus? pis en bas-dessous??"

- "Tcheuuuuuu...!"

Stupeur...puis silence assourdissant. 

Le glacier de Birch. Birch? Pas un prénom! Un tas de glace et de cailloux! Mais en-dessous du Birch et de son petit nom graveleux, il y avait Blatten. Un village croquignolet, fier de ses traditions, accroché à son fond de vallée, une carte postale, connue dans le monde entier pour ses Tschäggättä, créatures effrayantes du Carnaval. Mais aujourd'hui Blatten n'est plus, rayé de la carte. Une seule victime toutefois. Les autorités avaient décidé d'évacuer les habitants et tous les animaux depuis plusieurs jours déjà. On ne peut que féliciter le sang-froid du géologue cantonal et de toute son équipe. Sans leur expertise, la catastrophe aurait été encore bien pire. 

La montagne, en Valais, on la respire, on la vénère, on vit avec. Les vaches aussi. En face, à côté, dessous, dessus. Elle dicte la météo, elle façonne les villages, elle décide de ce qu’on peut ou ne peut pas faire. Ici, elle n'est pas qu'un simple décor pour les skieurs ou les randonneurs du dimanche. Elle impose son rythme, elle donne le ton, elle prend parfois, sans prévenir. La montagne, en Valais, on ne la contemple pas seulement, elle passe à travers nous. Dès le printemps revenu, tout bon Valaisan chausse ses godillots et va marcher le long des bisses, grimper sur des talus, voir la plaine du Rhône depuis en haut et se dire avec une fierté non dissimulée et avec un accent à couper au couteau: "le Valais, de Djeu, c'est beau. C'est l'plus beau canton, y en n'a pas comme nous". En hiver, le même gaillard chausse les planches et file le long des pistes, transi de froid  au sommet ("Tcheu, la cramine!") puis réchauffé devant la raclette et le coup de blanc quelques centaines de mètres plus bas. D'ailleurs, il y en a qui prennent "de ces toquées de douze" après la journée de ski et se retrouvent "en bas les tzasses au carnotzet à 6 heures du mat". 

Mais le lendemain du 28 mai, on s'est levé avec la gueule de bois sans même avoir descendu un seul coup de Fendant, les feuilles en bas. Sidéré, hébété, muet devant l'inimaginable. Blatten, disparu, devenu pourtant le centre du Valais en quelques jours, en quelques heures, en quelques infinitésimales secondes. Et devant les images effarantes, repassées en boucle sur tous les médias, on a chialé intérieurement, certains laissant même échapper quelques larmes même si on est des "vrais, pas des lopettes, de Djeu!" 

La séquence avec cet énorme nuage de poussière envahissant même l'autre versant de la vallée, "ença, enlà, outre-ença", je l'ai regardée. Encore et encore. Mille fois. Le coeur trituré, me souvenant de cette vallée riante dans laquelle j'avais acheté mon masque du Löschental, celui qui me regarde avec sa gueule de travers accroché maintenant au-dessus des escaliers. Maintenant, la balafre dans la pente et dans le fond du val est là, terrible, sans pardon. 

Ces montagnes valaisannes, je les ai aimées, depuis toute petite, clopin-clopant derrière mon père et ses longues enjambées trop rapides pour mes petites pattes. Mais jeudi dernier, j'ai regardé tous les sommets environnants avec d'autres yeux, un mélange de peur et de colère sourde. 

D'ailleurs, les 4000 mètres du Val d'Anniviers, ne vont-ils pas un jour s'effronder et dévaler la "dérupe" à Zinal? Et les Dents-du-Midi, ne vont-elles pas tomber sur le clocher de Rémy et de Dédé? Et l'Aiguille de la Tsa, obélisque suspendu, dégringoler dans un petit nuage de poussière sur les cornes d'une vache d'Hérens? Et puis ce Cervin, cet olibrius de Toblerone, ce pic, ce machin glorieux que tout le monde connaît, quand va-t-il déguiller et nous rejouer la grande peur dans la montagne? Mercredi, avant l'énorme chambardement, je trouvais ces sommets majestueux. Hier encore, ils inspiraient le respect. Aujourd’hui, ils ne sont plus magiques. Juste menaçants. Immenses. Prêts à engloutir. Traîtres. Comme ces vieilles connaissances que vous croyiez connaître et qui tout d'un coup, vous font un sale coup par derrière. 

Aujourd'hui, les habitants de Blatten sont dévastés et les Valaisans meurtris. Permafrost, érosion, réchauffement climatique, laves torentielles, ("de bleu, c'est quoi toute c'tte roille") les mots ne veulent pour l'heure pas dire grand-chose. Mais l'homme devra en tirer les leçons, tôt ou tard. Pour l'heure, on ne peut que rester immobiles, devant ce qu'il reste. Il faut laisser résonner ce silence de désolation. 

L'histoire est amère, cruelle, terrible. La montagne, elle est méchante. Pourtant, samedi 30 mai, j'y suis retournée, j'ai remonté à pied une partie du Val d'Hérens (quelques vallées plus loin que Blatten) pour contempler le Mont Collon (photo de ce billet) et malgré tout, malgré ses glaces suspendues, malgré ses couloirs à avalanches, je l'ai trouvé beau, presque trop. Salaud!

La montagne peut trahir. La montagne peut tout prendre. Les maisons, les souvenirs, les certitudes, les hommes aussi. Elle peut frapper sans prévenir, sans remords. Ici mais aussi ailleurs. Hommes de peu de foi, vous en êtes avertis.

Aujourd’hui, nous sommes Blatten. Et Blatten ne s’effacera jamais même si on ne voit plus son clocher. Me reviennent alors en tête ces paroles de "Le Vieux Chalet" de l'Abbé Bovet, qui résonnent étrangement dans cette nature dévastée: 

 

"Là-haut sur la montagne l'était un vieux chaletMurs blancs toit de bardeauxDevant la porte un vieux bouleauLà-haut sur la montagne l'était un vieux chalet

Là-haut sur la montagne croula le vieux chaletLa neige et les rochersS'étaient unis pour l'arracherLà-haut sur la montagne croula le vieux chalet

Là-haut sur la montagne quand Jean vint au chaletPleura de tout son coeurSur les débris de son bonheurLà-haut sur la montagne quand Jean vint au chalet

Là-haut sur la montagne l'est un nouveau chaletCar Jean d'un coeur vaillantL'a reconstruit plus beau qu'avantLà-haut sur la montagne l'est un nouveau chalet"


Ben oui, comme le Jean de la chanson, on va quand même pas se laisser "mettre une dérouillée" par quelques tas de cailloux! "Ou bien?!"

"Blatten, Adjeu don!"******


P.S. Petit lexique des expressions utilisées: 

- Il est parti à botson  = il est tombé

- Ça va l'chalet ou quoi? = signification :  T’es fou ?  Le "ou quoi" (ou "ou bien") à la fin de la phrase est typique et intervient dans 90 % des constructions de phrases valaisanes pour demander l’avis de l’interlocuteur

en haut-dessus = locution pléonasmique utilisée pour souligner la hauteur, contrée par "en bas-dessous" qui renforce le contraste

- Tcheuuuuuu = abréviation familière du nom de Dieu, utilisée ici comme interjection pour marquer l’étonnement

- Tcheu, la cramine = expression qui traduit le froid intense

de ces toquées de douze = signifie boire beaucoup (avoir "bientôt un coup d’ivresse complet")

en bas les tzasses au carnotzet à 6 heures du mat = se référant au moment où, après une soirée arrosée, certains descendent "les pantalons" (c’est-à-dire se comportent de manière irrévérencieuse ou font les malins)

- ença, enlà, outre-ença = utilisé pour indiquer un lieu, soulignant de façon imagée l’étendue ou l’emplacement

- dérupe = terme désignant une pente abrupte

- roille = désigne une pluie soutenue, capable de déclencher des laves torentielles

mettre une dérouillée = donner une correction brutale et violente à quelqu'un

- Adjeu = salut

- don = n'est-ce-pas


Dédé@Juin 2025

vendredi 16 mai 2025

Matin bleu


Comme le monde était beau.

Là, en cet instant suspendu, l'air est devenu léger. 

La barque a poursuivi sa traversée.

C'était un matin bleu, comme seul le Léman est capable de nous en donner. 


Dédé@Mai 2025

mardi 29 avril 2025

Gai printemps



Ces dernières semaines, il fallait juste des lieux calmes, des sons doux et des teintes printanières. Et puis des choses simples après les événements si compliqués.

Alors j'ai arpenté cette campagne autrichienne, m'imprégnant du chant des oiseaux et  écoutant les fleurs pousser, sur les arbres et dans les prés. Et dans ce paysage bucolique, à peine dérangé par quelques tracteurs, il y a eu une respiration, celle du gai printemps. 

Les cloches de la grande église blanche ont sonné et les mésanges ont répondu, accompagnées dans leurs vocalises par un rouge-gorge. L'abeille a amorcé une descente gracieuse sur le pré paré de mille bouquets pendant qu'au loin, quelques vaches paissaient déjà.

Dans ce tableau si tranquille, un nouveau champ de possibles se dessinait, celui de la lumière et de la Vie. 

Et des fleurs, mes douces amies.


Dédé@Avril 2025

samedi 5 avril 2025

Sobriété

Une journée blême, pâle jusqu'à la fadeur. Et puis d'un coup, tout devenait limpide: l'essentiel s'écrivait là, dans quelques courbes esquissées, dans le noir, le gris et le blanc.

Nul besoin de chercher, tout était devant nos yeux. Il fallait simplement s'imprégner de ce que la nature nous offrait.

Et finalement, si c'était aussi simple que cela?

La montagne le savait: pas besoin de grands discours, seule la sobriété importait.


P.S 1. Le jour où j'ai pris cette photo, il y avait beaucoup de brouillard mais soudain, il s'est déchiré pour laisser place juste à cette montagne. Derrière elle se trouvent pourtant des sommets fameux, bien plus élevés, mais qu'on ne percevait pas du tout dans cette atmosphère épurée. Cela m'a fait penser à cette technique de peinture à l'encre japonaise, sumi-e, qui utilise une simple encre noire et des espaces blancs pour capturer la beauté intemporelle et le complexité de la nature. 


P.S.2. Je vis de nouveau une grosse désillusion au niveau professionnel. Mais peut-être ouvre-t-elle un autre champ des possibles. Je me dois d'y croire. Cette montagne, aussi sobre soit-elle, préfigure certainement un nouveau chemin qui, je l'espère, sera plus simple, plus bienveillant, plus serein...


Dédé@Avril 2025

vendredi 21 mars 2025

Flocons timorés

 


Il avait pourtant commencé à le chanter durant la semaine écoulée. Mais, en ce dimanche matin, élégant jouvenceau vêtu de noir, le merle est revenu nous saluer après un petit passage dans la mangeoire, presque désolé d'avoir annoncé trop tôt que le printemps était arrivé. 

Ce n'était pas les mésanges espiègles qui allaient le contredire. Et toute la forêt, frigorifiée dans cette neige nouvelle, acquiesçait aussi en silence. 

Tout bien considéré, on ne pouvait que s'incliner devant ces flocons bien timorés car à cette altitude, le printemps n'était jamais bien pressé de s'installer. 

Pourtant, dans l'air froid, quelque chose avait changé et annonçait un renouveau auquel on voulait absolument croire. 

Un flocon, c'est un peu comme une fleur. Il suffit de rêver. 


P.S. Alors que sur beaucoup de blogs amis, je vois des photos de fleurs qui chantent le printemps, vous m'excuserez de refroidir un peu l'atmosphère. :-) En montagne, l'hiver n'est jamais très loin du printemps. Cette photo le prouve car elle date du 16 mars dernier. J'ai aimé cette forêt dans le brouillard et en attente de jours meilleurs.


Dédé@Mars 2025

vendredi 7 mars 2025

Vaincre tous les déserts


Dunes de Maspalomas, Gran Canaria


Notre existence n'est que formations fugitives de sable mouvant, nées d'un coup de vent et disparues à jamais dans le prochain souffle. Et il ne restera peut-être après nous que ce que nous aurons bien voulu laisser : des mots écrits ici et là, l'empreinte de quelques doux baisers échangés, une ou deux paroles prononcées qui subisteront en suspension dans l'atmosphère et puis s'anéantiront elles aussi dans le fracas de l'univers. 

Alors, devant cette certitude de disparaître un jour, pourquoi vouloir tant être immortel? Car ce doit être terriblement ennuyeux et déprimant de savoir que ce qui se passe aujourd'hui ou demain ne joue finalement aucun rôle. En effet, d'autres jours viendront encore et toujours, d'autres mois, d'autres années et ainsi, qu'est-ce qui pourrait avoir encore tant d'importance dans cette valse du temps infinie? 

Eternels, nous n'aurions plus à courir après le temps, nous en disposerions sans limite et sans nous presser et il serait totalement indifférent d'accomplir quelque chose dans l'instant présent ou le lendemain. Et les regrets n'auraient plus aucun sens car il resterait toujours du temps pour rattraper ce que nous aurions éventuellement perdu. 

Alors même si nous ne sommes en réalité qu'un grain de sable dans cette immensité, même si nos traces de pas s'effaceront inéluctablement après notre passage, il n'est pas encore trop tard pour se mettre en marche, le coeur ouvert sur le monde. En héritage, nous laisserons possiblement quelques particules infinitésimales de joie qui, en s'amoncellant, vaincront la lente agonie du sablier du temps.

Et il ne serait pas déraisonnable d'espérer que ces minuscules poussières fleuriront afin de vaincre tous les déserts et toutes les guerres du monde. 

Dédé@Mars 2025

vendredi 21 février 2025

Azurs


Au-delà de l'au-delà, derrière cette ligne où tout disparaît et où le monde se noie, un mouvement inextinguible remue les flot. De cette énergie formidable naissent des vagues turquoises qui viennent, après une longue traversée, mourir lentement sur nos rivages. 

Au loin, minuscule esquif, le voilier vogue, indifférent aux obscures turpitudes de la terre, complétant tout en légèreté ce tableau océanique qui irrésistiblement m'attire aux creux de ses murmures.

Il est temps de lever l'ancre. 

Dans toutes ces nuances de bleu s'inscrit déjà ma route maritime. Il y aura des orages et des tempêtes mais aussi des levers de soleil éclatants, des îles inconnues ne figurant sur aucune carte et des pays dont les frontières n'existent que dans le coeur des fous. 

Et derrière cet horizon lointain, j'écrirai une nouvelle page d'azurs et de camaïeus qui ne s'effaceront jamais. 


Dédé@Février 2025

vendredi 7 février 2025

Fenêtre sur le monde

 


Après avoir quitté la côte du Sud de la Gran Canaria, bien trop bruyante et peuplée à notre goût, des routes escarpées et vertigineuses nous ont conduit au centre de l'île, dans un paysage d'une beauté époustouflante. Le Roque Nublo, monolithe altier, vestige d'une explosion volcanique datant de millions d'années, se dressait fièrement au milieu d'un décor ravagé de falaises, de ravins, de hauts plateaux et de forêts de pins. Sur Tenerife, l'île d'en face, le majestueux et lointain Teide nous faisait signe, tranquillement assoupi au-dessus des brumes éthérées.

L'architecture de ce paysage volcanique ne pouvait que triturer l'âme et le coeur et nos aventures sur les chemins de randonnée de l'île n'ont été que successions de découvertes ennivrantes, faites de couleurs chatoyantes, à l'opposé de notre hiver alpin parfois bien trop monochrome. Malgré un relief et un dénivellé exigeant, même pour des randonneurs pourtant habitués aux chemins alpins, s'élever sur le flancs des sommets représentait une expérience magique, à la fois apaisante et vivifiante. Au coeur du mois de janvier, les amandiers commencaient en effet leur éclatante floraison alors que nombre de plantes grasses nous offraient des fleurs élégantes et délicates, si fragiles et si fortes à la fois, comme des palettes de coloris intenses déposés sur le vert et le brun des décors montagneux.

Les ravissants villages multicolores accrochés à des parois vertigineuses, les bouquets de palmiers et bananiers dans les tréfonds des barrancos humides, ce bleu du ciel si intense, l'Atlantique et ses fougueuses vagues, les dunes mystérieuses d'un tout petit désert, le goût sucré des bananes, les généreux orangers et ce vent lancinant venu du large balayant toutes nos certitudes de continentaux, nous ont révélé un monde de merveilles infinies. 

Même Las Palmas, bruyante et bouillonnante métropole en bord de mer, ni vraiment canarienne ni tout à fait espagnole et déjà presque sud-américaine, nous a subjugués en nous offrant un dédale de ruelles chatoyantes que Christophe Colomb avait arpentées bien avant nous, en 1492, lors de son escale sur l'île avant sa découverte du Nouveau Monde. Les lourdes portes en bois massif des maisons des vieux quartiers ne demandaient qu'à être poussées pour entrer dans l'Histoire, en dévoilant des patios fleuris et des cours secrètes, chuchotant des histoires de traversées des océans et de commerces de fruits exotiques. 

Chaque exploration dans notre escapade hivernale a tissé un fil à travers l'étoffe riche et colorée de cette île, la transformant en un souvenir précieux que nous garderons inscrit dans la prunelle de nos yeux.

Aujourd'hui, face à mes Alpes enneigées, je me souviens avec gratitude et émotion de ce que la nature nous offre ici et là, comme autant de fenêtres sur le monde, et le chant enjoué et espiègle du serin des Canaries reste gravé au fond de mon coeur exalté par tant de beauté.




Dédé@Février 2025