vendredi 21 septembre 2018

La vieille abbaye



Le chemin s’enfonçait dans une forêt profonde et il y régnait une atmosphère mystérieuse, peut-être à cause du silence opaque, des troncs noueux des chênes recouverts en partie de mousse et des fougères qui émergeaient entre les pierres. Puis, au détour du sentier, les ruines d’une abbaye franciscaine surgirent, témoins d’un passé lointain, comme une réminiscence d’un temps où les légendes celtes s’entrelaçaient aux mystères célébrés par les moines. Derrière elles s’étirait un lac d’un bleu si bleu qu’on avait l’impression que le ciel s’y était baigné trop longtemps et qu’il y avait laissé un peu de son manteau azuré.  

La tour de l’église s’élançait à l’assaut des cieux, encerclée d’un cimetière de croix celtiques, toujours debout, altières et pourtant rongées par le temps. Dans un dédale de salles vides mais encore empreintes d’une histoire oubliée, on se perdait, caressant les murs pour entendre les chants religieux psalmodiées au fil du temps. Et dans l’enfilade des pièces apparut un magnifique cloître, à la fois silencieux et bruissant des murmures de prières circulant toujours entre les colonnes massives.

Au centre de cette galerie trônait fièrement un if hors d’âge avec son tronc torsadé. De sa voix profonde, il chantait les montagnes boisées, les îlots rocheux et les falaises abruptes, éclairé par un rayon céleste qui déchirait les nuages, comme une invitation à entrer en relation avec le divin.

Il y a des lieux ainsi où le temps semble s’être arrêté, où les pierres recouvertes de lichen chuchotent des histoires d’artistes au travail sur de précieux manuscrits et où les croix dansent doucement, mêlant leurs litanies aux mélodies des oiseaux.

Déambulant seule dans ce cloître presque endormi, vibrante d’émotion devant cet if qui jaillissait entre les pierres, j’ai senti soudain un souffle soulevant quelques poussières et embrassant avec tendresse le vieil arbre. Le plain-chant des moines disparus s’est mêlé à de suaves voix, célébrant en chœur cette verte Irlande. Et là-bas, au-delà de la porte, au-delà de ce monde que je croyais réel, a surgi une silhouette, virevoltant et riant à la fois. Quand je me suis précipitée pour la rattraper, elle avait déjà disparu, laissant derrière elle une traînée d’étoiles étincelantes.

Dans les ruines d’une abbaye lovée dans la forêt, tu m’as retrouvée, les yeux brillant d’une joie tout enfantine, serrant dans ma main des fragments de la voute céleste. Et nous avons couru entre les colonnes, parsemant les pierres de notre amour indéfectible.



Dédé © Septembre 2018

vendredi 7 septembre 2018

Camaieu de verts


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Il y avait ce ciel, presque sans limite, tantôt chargé de lourds nuages noirs prêts à déverser une pluie trépignant d’impatience à l’idée de rencontrer la terre, tantôt d’un bleu intense, baignant d’une lumière presque aveuglante les côtes sauvages sur lesquelles l’océan gémissant se fracassait.

Dans la verte campagne, les moutons paissaient par grappes entières, se partageant de petits champs délimités par des murets de pierre. Plus loin, vaches et chevaux fougueux levaient la tête à notre passage, curieux de savoir d’où nous venions et où nous allions.  Nous ne savions d’ailleurs pas toujours quelle direction emprunter car les panneaux, plantés au bord de routes sinueuses et étroites dans ces gaeltacht, avaient parfois la fâcheuse tendance à distiller des indications dans une langue rocailleuse, imprononçable et qui ne ressemblait en rien avec ce qui était inscrit sur notre carte routière.

Des sentiers magiques nous ont conduit dans des lieux reculés, presque oubliés des hommes, décors grandioses parsemés de montagnes noires et de lacs miroitants si nombreux qu’il était impossible d’en faire un décompte précis.  Lieu de tourbières, envahi de brumes évanescentes, balayé par la pluie et le vent du large, vaste étendue de rocailles parsemée d’herbe rousse, c’est là que Maureen avait dit oui à Sean Kelly et c’est là que j’ai respiré à plein poumons ce vent si particulier venu du Nord.

Essaimées dans la lande, s’accrochant aux flancs des falaises, de petites maisons subissaient ce jour-là les vagues erratiques d’une bruine froide. Il n’y avait plus qu’à courber la tête avec respect devant la furie des éléments et à espérer que le peintre solaire revienne au plus vite.  

Au détour d’un chemin boisé, dans le creux silencieux d’un cirque de montagnes, dormaient pour l’éternité les ruines d’un site monastique, témoins d’une époque médiévale où les monastères de toute l’île étaient une référence sur le continent européen. Quelle émotion en entrant dans ces lieux retirés, où les croix, rongées par les assauts du temps, s’élançaient pourtant fièrement vers le ciel, distillant encore un message poignant de ferveur. Les pierres de ces abbayes à peine debout chuchotaient aussi en musique douce la beauté des enluminures, travail ciselé de moines appliqués qui nous ont laissé en héritage le sublime «Livre de Kells ».

Et sur ce haut-plateau calcaire tourmenté par l’érosion, lieu désertique et quasi lunaire dont Cromwell disait que : "C’est une région où il n’y a pas assez d’eau pour noyer un homme, pas assez de bois pour le pendre, pas assez de terre pour l’enterrer", un mégalithe solitaire, vieux de 5800 ans, murmurait sans fin depuis des siècles l’histoire de l’humanité à qui voulait bien tendre l’oreille jusqu’aux tréfonds du passé.

Plus loin encore, perdu dans le brouillard et balayé par une pluie persistante, un château et son gardien un peu fou nous a accueillis dans un dédale de sombres couloirs, bordés de tapisseries d’une autre époque. Autour d’une théière brûlante, nos mains se sont frôlées alors qu’au-dehors, le vent soufflait des légendes celtiques oubliées et que les Dullahans parcouraient la campagne afin de nous retrouver.

Dans ce périple rempli d’émotions, nous avons repris maintes fois ces airs entraînants qui inscrivirent dans nos cœurs cette île d’un camaïeu éclatant de verts, brillante comme un feuillage après l’orage, à la fois sombre et pétillante comme une Guinness.

Aujourd’hui, j’entends résonner encore au fond de moi cette flûte et ce violon enchantés, célébrant le vent, les nuées de pluie, les nuages noirs, les lacs et cet océan fougueux, comme un parfum de liberté et un amour indéfectible pour la terre.

Ce fut un beau voyage qui laisse au creux de ma mémoire une palette de couleurs chatoyantes, comme celle de tes yeux.



Dédé © Septembre 2018

vendredi 3 août 2018

Soir d'été




Après l’orage qui a joué une grandiose tragédie dans la vallée et alors que les grondements du tonnerre roulent encore une ultime fois contre les parois des montagnes, le ciel se déchire pour laisser passer une lumière diffuse, éclairant d’une lueur étrange et presque irréelle la forêt trempée de pluie. Les nuages forment un écrin tourmenté à cette dernière scène de la journée et pendant que le soleil luit encore avant de disparaître devant une nuit impatiente surgit un minuscule arc-en-ciel, promesse du renouveau.

Devant ce spectacle, je n’ai pas d’autre choix que de me laisser transporter aux confins de cette nature exaltée, ballotée comme une barque abandonnée sur les flots d’un océan tempétueux. Le monde fantastique de la montagne après l’orage m’emporte alors que la nuit tombe lentement et que les étoiles s’allument peu à peu entre les imposants nuages. 

Mes yeux encore remplis d’orage, de pluie et de vent se posent alors sur toi et dans ce fracas qui résonne encore au plus profond de mes entrailles, j’accueille ton sourire et le chant des oiseaux qui s’endorment avec reconnaissance.


P.S. Belle suite d'été à toutes et tous.

Dédé © Août 2018

vendredi 6 juillet 2018

Miroir estival



Au bout du sentier
Flotte le ciel bleu d'été
Nuages sur l'eau 




P.S. Prise d'une envie de me perdre dans les nuages et à la recherche de bulles pétillantes, je laisse ce lac vous conter l'été.

Je passerai vous voir de temps en temps avant de reprendre les publications ici. Bel été à toutes et tous.


Dédé © Juillet 2018

vendredi 22 juin 2018

Renouveau



Pendant l’hiver, la montagne n’est pas faite pour les hommes. Elle s’ébroue seule, sous une épaisse couche de neige et sa respiration devient lente, presque imperceptible. Au long des jours, les flocons emplissent l’espace et tout disparaît dans des vapeurs glaciales, comme si plus rien n’avait existé là-haut. Quelques animaux courageux luttent contre les éléments alors que d’autres se terrent à l’abri pendant des mois. Et dans ce silence presque écrasant hurle un vent impétueux balayant tout sur son passage.
 
Alors quand la belle saison revient, que la rivière gambade entre les pierres, joyeuse de dévaler les pentes, que les fleurs jaunes jaillissent dans une grasse prairie et que les nuages caressent les sommets s’ébrouant au soleil, il n’y a qu’à tendre les doigts pour saisir ce souffle extatique sillonnant les alpages.
 
Et dans la contemplation de ce renouveau, amoureux comme au premier jour, nous reprendrons la route vers notre été plein de promesses.




Dédé © Juin 2018

vendredi 8 juin 2018

L'orage



L’air était empreint d’une tension palpable qui laissait les hommes nerveux, dans l’attente impatiente de quelque chose qui tardait pourtant à venir. S’accumulant dans le ciel, les nuages sombres filtraient encore un peu de la lumière de l’astre solaire mais on sentait qu’un vent impétueux allait balayer d’un revers de main les bois encore tranquilles. 
 
Je regardais les fleurs des champs qui dodelinaient de la tête, peu conscientes encore de la tempête qui se préparait. Elles me rappelaient ces années d’insouciance heureuse, lorsque je n’avais qu’à caresser le tronc des arbres de la forêt magique sans imaginer qu’un jour ils pourraient se craqueler, trop vieux pour supporter encore le poids des ans.
 
En peu de temps, le ciel a pris une teinte noirâtre, rendant la scène opaque et angoissante. Un souffle fulgurant a surgi de nulle part, emportant sur son passage les quelques oiseaux téméraires. Rugissant des entrailles de la terre, un grondement a rempli l’atmosphère et des rideaux de pluie ont jailli de ce plafond lugubre, noyant les sommets dans un tourbillon erratique.
 
Il n’y avait plus rien à dire, comme quand les hommes fâchés ne peuvent plus prononcer un seul mot, dans ces disputes violentes conduisant à un pesant silence. Le seul moyen d’en réchapper était d’attendre et de contempler, avec l’espoir que le calme reviendrait rapidement.
 
Et mes pensées ruisselantes, de celles qui m’envahissent parfois, m’ont fait tanguer dans les bourrasques.
 
A ce moment-là, j’aurais voulu avoir à nouveau huit ans, retrouver mon âme d’enfant et le grand sapin, celui qui avait accueilli tant de mes chagrins lorsque j’allais le retrouver en cachette. 
 
Il a plu longtemps ce soir-là.


Dédé © Juin 2018

vendredi 25 mai 2018

La Villa italienne

Villa Panza, Varese, Italie


Se contemplant dans son miroir, la Villa se demandait si elle était la plus belle. 

Pendant cette réflexion, les meubles à l’intérieur se regardaient et se jaugeaient, cherchant à capter le regard des quelques visiteurs. Des sculptures africaines paradaient au milieu d’un mobilier éclectique et des tableaux monochromes d’artistes américains laissaient le spectateur perplexe. Et dans ce couloir étrange, illuminé par des couleurs étonnantes, Dan Flavin, artiste minimaliste, s’était amusé à créer une ambiance digne d’un film de science-fiction. 

Je crois que j’ai été heureuse de sortir dans les jardins et de retrouver ma réalité.


Villa Panza, Varese, Italie


Dédé © Mai 2018